Il fait pas beau aujourd'hui. J'aime pas trop, quand le temps lui-même fait la gueule. J'préfère quand il y a du soleil, mais, ici, c'est pas souvent. Cyrus il me reproche souvent d'être venu là. C'est vrai, quand t'es militaire, tu devrais pouvoir choisir un lieu ensoleillé. Mais là non. Mais c'est pas grave, parce que, moi, je trouve que la mer elle est belle, ici. Même la nuit. L'obscurité, ça rend tout beaucoup plus joli. On fait plus attention à tous nos autres sens. Le son du va-et-vient incessant de l'eau salée. La sensation du sable frais sur nos pieds nus. L'étrange luminosité voilée d'un croissant de lune. Le vent violent qui fouette les visages. Et la solitude. Le doux bruit d'une silencieuse solitude. Le calme total. Il n'y a plus que ma respiration, et celle de Cyrus. Il est calme, lui aussi. C'est rare. Normalement, moi je suis calme. Et lui il parle, il cri, il se démène dans mon crâne. Parfois, je crois qu'il voudrait bien sortir de là. Je crois qu'il préférerait avoir un corps à lui tout seul. Alors je lui offre le mien, comme une coquille à sa disposition. Mais des fois il abuse un peu de mon hospitalité. Des fois, il va trop loin. Mais ne lui dites surtout pas, il m'en voudrait. Je sais qu'il est un peu sensible, au fond de lui.
J'aime être seul. Enfin, avec Cyrus. Juste avec lui. Il sait me laisser tranquille, parfois. Mais au moins, quand je dois parler, il m'écoute, lui. « on a bien fait de sortir se promener. j'aime pas le dortoir de l'école militaire. ça sent l'cochon. » Il rit. J'aime quand Cyrus rit à mes blagues. Lui, il a l'air de m'aimer, au moins. C'est pour ça que j'aime plus mes parents. Ils m'ont rejeté. Et pour mon meilleur ami, en plus. Alors qu'il fait rien, qu'il est gentil. Je veux dire, il m'aide. Il est juste malheureux, enfermé en dedans de moi. Il ne sent pas le sable, lui, ou l'odeur de la mer. Il ne sent pas la brise sur sa peau, ou l'eau qui caresse les orteils. Il ne sent rien du tout, lui. Il est malheureux. « j'irais bien me baigner. tu veux venir? » Cyrus n'a pas l'air de vouloir. Il boude. Surement parce qu'il a oublié son maillot. Moi, j'ai pas besoin de maillot, j'ai pas peur. En plus, il y a personne. Alors j'enlève tout, puis je cours à l'eau en hurlant de rire, et puis j'aboie à la lune, et puis je plonge la tête sous l'eau glacée. Je ris aux éclats. Je suis seul, et je ris comme jamais.