La lune est toute rose dans son ciel couchant et moi j'attends, avec le futur de Noël autour de moi.
Je ne comprends pas, je vois les autres, ils ont le soleil dans les yeux, sa lumière qui les illumine, semble les réchauffer, même, mais moi, moi il n'y a que des nuages dans ma vie en noir et blanc. Il fait mauvais temps sur moi tous les jours.
Mon regard voyage. Fouine. Cherche l'inexistant, le fantôme, le mort. Je le sens qui fatigue d'essayer de regarder ce qu'il ne pourra voir, mais moi toujours je l'obligerais à trouver l'introuvable. Toujours.
Je me crois dans des yeux, deux trous noirs de vide. J'y vois Sil. Mais c'est quoi Sil ? Ça veut dire quoi ? Ça rime avec rien ... Ça rime à rien ... Sil, Sil, Sil, c'est absurde, c'est à jeter dans la mer, comme les bouteilles à messages, et à laisser se noyer pour toujours.
Énième lumière au loin, lumière parmi les lumières, mais celle-là, elle est pour moi. C'est l'ouragan dans mes journées, la vie dans ma vie.  Le petit corps qui élève souvent la voix trop haut, ça me casse la tête, l'épine qui pique en caressant, qui court trop vite pour moi quand il faut sortir du restaurant sans payer. C'est ma décharge électrique personnelle.
Quoique ça change pas grand chose. Toute cette électricité et cette bougeotte.
Il faut juste que je m'habille, le matin, et que j'ouvre les yeux.
Elle vient à moi, la lumière, elle aveugle un peu mon regard de loup qui sort d'hibernation.
- T'es en retard.
Je sais pas ce que c'est, Sil, mais en tous cas, c'est pas quelque chose qui sait dire bonjour poliment.

On dirait des petits néants, là, contre le sol, la neige légère, qui prennent place. Comme si Hanna, elle était le soleil en train de marcher, tout bonnement, et que sa chaleur, trop forte, trop vive, en faisant fondre la pondre blanche. Elle ne voit pas, pourtant ; non, la petite, elle avance rapidement, le nez froid, comme les doigts, malgré les vêtements qui ne sont pas à soi.
Elle avance, là, la petite, les cheveux dans le vent, le regard par en avant. Parce que on l'attend, parce qu'elle n'a plus le temps. Elle le sent, là, contre sa peau.
Le temps qui file, délicatement. Il tombe comme des flocons, se perd contre l'horizon. Et Hanna, elle marche derrière tout cela  ; elle ne court pas. C'est épuisant, courir. C'est le souffle qui s'éteint, entre les lèvres, et l'agonie qui naît, un peu. C'est un goût de la vie qui s'évade des lèvres avant même d'être goûté. La liberté qui ne peut même pas être effleurée.
Hanna, elle sourit, quand Sil est là, devant elle.
Qu'il est là, et qu'il lui balance, juste là, comme ça. « T'es en retard. » Oui, elle rit, la petite épine, lève les yeux au ciel, passe ses doigts dans ses cheveux, là, qui embrassent le vent, tout bonnement. « compte les étoiles, ou alors les lumières, à la place du temps. c'est beaucoup plus amusant. » Elle lui sourit, tout bas, tout bonnement. Prends ses doigts, chauds, contre les siens, froids, les serre un peu fort, peut-être trop, à quoi bon, et puis s'avance. Elle sourit, léger, légère, face à toutes ces cabanes, là, si belles.
On dirait un paradis d'hiver. C'est blanc et c'est frais, c'est sourire, sur les lèvres. Bonheur, sur les traits. Hanna, elle observe, là, fait attention, pour ne pas rentrer dans les gens. Hanna, elle n'a pas envie de voler ces gens souriant, alors, elle tourne ses yeux brillants vers Sil, là, comme une enfant. «  t'as de l'argent, dit  ? quelques pièces, aller ! » Elle tire sur ses doigts, encore, leur fait faire la balançoire, là, d'un mouvement délicat, de gauche à droite. Comme deux enfants, dans un parc, qui se balancent en s'amusant.

- Compte les étoiles, ou alors les lumières, à la place du temps. c'est beaucoup plus amusant.
Étoile, nf, « astre qui brille dans le ciel nocturne ». Étoile, comme Sil, avant, « astre qui brille » (ait). Non Sil, il a arrêté de les compter, les étoiles, surtout depuis qu'il en fait plus partie. Petit arrière goût d'amertume à l'égard des astres brillants.
Et puis compter les lumières, ça doit pas être commode.
Hanna, elle sourit en prenant la main gantée de Sil, et Sil, il se met à compter les lumières presque instantanément, finalement c'est pas si compliqué, c'est même assez évident.
Hanna - lumière numéro une.
- T'as de l'argent, dit ? quelques pièces, aller !
Il en est à dix-sept lumières, Sil, en comptant les enfants évidemment, qui valent double, et le compte est pas fini, alors pour qu'Hanna le laisse tranquille, il lui tend un billet de vingt livres.
Des petites lumières courent autour d'eux, c'est beau, ça donnerait presque envie d'en être une. Mais Sil, il serait pas capable de s'allumer et de se mettre à briller très fort. Vous me direz, mais c'est facile de s'éclairer, suffit juste d'étirer les lèvres en un sourire.
Mais mes bonnes gens, c'est que Sil, ça fait bien des éternités qu'il a pas souri.
- Tu vas faire un cadeau à tes parents ?
(Et quand il essaie de parler, sa voix, on dirait des rochers qui protesteraient sous les attaques des vagues sur leurs ventres.)
Ses parents, oui. Sil, il a fermé la yeux sur les quatre derniers Noëls, mais il sait qu'ils ont continué à être fêtés, tout comme les voitures ont continué de polluer, le soleil de faire bronzer, Hanna de sourire.

Quatre-vingt dix lumières.
C'est ça qu'on devrait lui offrir à Noël : une ribambelle de lumières.

Ses yeux deviennent étoiles, à Hanna, dès l'instant où il met un billet entre ses doigts. Elle le serre fort, un instant, contemple ce qui est finement dessiné sur le bout de papier qui, pour être, se trouve sans importance. Ses doigts dansent sur les formes légères, le relief timide qu'elle peut sentir, puis, elle lève les yeux vers lui. « Merci. » Il sort de ses lèvres, du bout seulement, sans chercher à s'évader totalement. Ses yeux se plissent et sa bouche finit en coeur, puis, d'un mouvement rapide, glissant presque sur la neige, elle se contente de se retourner rapidement.
Ses prunelles, grandes ouvertes, vagabondent sur les environs. Elle essaie de voir quelque chose qui pourrait capter son attention. Mais Hanna, elle ne sait pas ce qu'elle cherche. Hanna, elle ne sait pas si c'est pour elle, pour papa, ou alors pour quelqu'un d'autre. Marcus, peut-être. Oui, peut-être. Ou pas. «  Tu vas faire un cadeau à tes parents ? » Elle tourne les yeux vers lui, brusquement. Manque de faire tomber un enfant. « Hm ? » Hanna, elle fronce un peu des sourcils, les cheveux devant les yeux. Elle ne les chasse pas, pourtant. Elle se contente de marcher comme ça, la tête sur l'arrière, les cheveux qui font barrière. « Ma mère est morte. » Elle souffle doucement, passe ses doigts dans ses cheveux, observe en avant, de nouveau. Pour les sourires, pour les bonheurs qu'elle ne peut capturer, juste admirer. « Papa est à l’hôpital, aussi. Et Marcus a quitté les champs. » Elle ne sait pas pourquoi elle le précise ; peut-être car certaines choses ne sont plus à leur place.
Papa ne devrait pas être à l’hôpital.
Marcus devrait être dans les champs.
Hanna, elle reste quelque instant le regard par en avant, perdu dans les lumières, puis, elle soupire doucement, avant de serrer les poings, de plisser le billet, toujours entre ses doigts. Elle recule d'un pas et passe son bras autour du sien. « C'est comme une chasse au trésor. Tu veux la faire avec moi ? Il faut trouver la personne, et puis le cadeau, ensuite. » Des trésors, il y en a des milliers, aux alentours.

Son étonnement fait chavirer un enfant, sur leur passage.
- Ma mère est morte.
Cassé.
Il a un air étonné, Sil. Ah bon ? Ça meurt aussi, les autres ? Ça existe pour tout le monde, c'est pas juste quelque chose qui s'est acharné sur Jasmin, sa fleur, qui s'acharne sur lui ?
T'es sûre Hanna ? T'es sûre que les autres aussi ils peuvent disparaître ? Peut-être que ta maman, elle est juste cachée dans les bois. Peut-être qu'elle a oublié que c'était fini, la partie de cache-cache.
- Papa est à l’hôpital, aussi. Et Marcus a quitté les champs.
La lumière, soudain, elle ressemble plus du tout à celle des phares, du genre lumière qui aide les autres, les perdus, les naufragés, les échoués, mais plutôt à ces quelques lumières chevrotantes, qui savent plus sur quel pied briller.
Puis la lumière se remet à éclairer les autres. Peut-être qu'elle a jamais cessé de le faire.
Que c'est juste les yeux de Sil qui se font aveugles par moments.
- C'est comme une chasse au trésor. Tu veux la faire avec moi ? Il faut trouver la personne, et puis le cadeau, ensuite.
Il sourit, on dirait pas, c'est juste un sourire de malheureux alors y a qu'un autre malheureux qui pourrait comprendre ce sourire-grimace.
Il sourit, oui, les chasses aux trésors, c'est son terrain de jeu, il sait drôlement bien faire, ça. Son trésor, sa personne, il passe toutes les minutes de sa vie à le chercher entre les autres têtes, les autres coeurs, froids, chauds.
Il gagne jamais, c'est tout.
Il est pas si doué que ça au jeu, il va décevoir Hanna.
Hanna, elle est la seule à qui il pourra, pourrait faire un cadeau. Elle est là, tout près, pas même besoin de la chercher.
- Tu veux ça ?, il dit, en pointant l'index sur une vieille machine à écrire.
Il a dit ça au hasard. Pour Jasmin, il savait.
Parce qu'il ÉTAIT Jasmin. Il était dans l'ombre de ses petits plaisirs, dissimulé au milieu de ses rêves les plus débiles. Pour Jasmin, il aurait pris cette cassette de vieilles chansons de Noël, là-bas.
Hanna, de toute façon, surtout à côté de Sil, elle a l'air de déjà tout avoir.

Hanna, elle a les yeux grands, comme ça, à observer tout autour. Presque aussi grand que le coeur, oui, sur le coup. Elle sourit avec les yeux, à regarder tout autour. Elle sourit comme ça, à chercher ceci et cela, pour dépenser son petit billet d'argent. Peut-être, qui sait, qu'elle trouvera le trésor parfait. Celui qui fait battre le coeur, fort, si fort, et puis sourire si bien que les yeux, ils portent des larmes douces comme le miel.
Oui, Hanna, elle aimerait bien donner quelque chose à quelqu'un, et voir tout ça, sur ses traits.
C'est comme une histoire, doucement, qui naît.
C'est joli, comme un oiseau qui vole, dans les airs.
Alors... Alors Hanna, elle observe par ci et par là, juste au cas.
« Tu veux ça ? » Elle cligne des yeux, un moment, la toute petite. Elle cligne des yeux, oui, avant de tourner ses yeux en direction de son doigt, et puis de ce qu'il pointe, juste là. Elle le voit, juste là. L'outil des mots. « Oh » Ses yeux, ils brillent, comme ça, brusquement. Hanna, elle se pend à son bras, un peu lentement, y enroule ses doigts. Elle observe la machine à écrire, presque trop émerveillée pour s'en approcher. C'est comme un oiseau ; à trop s'y coller, il pourrait brusquement s'envoler. « Mais elle va voler mes mots, non ? Et puis le temps que je rentre à la maison, ils auront peut-être déjà quitté ma tête. » Elle mord ses lèvres, Hanna, avant de lâcher doucement son bras. Elle fait quelques pas, et puis observe les petits carnets de cuir, qui tranent juste là. Ses yeux bleus se tournent vers Sil. « C'est mieux, ça. Ça va partout avec soi. »
Et puis elle sourit, doucement, comme ça.

- Oh.
Ses yeux deviennent deux étoiles brillantes, deux soleils, à faire bronzer les iris de qui les croiserait. Comme les yeux de Sil. Sauf que les yeux de Sil, c'est un combat perdu, c'est le néant là-dedans, ça voit, ça fonctionne, mais ça n'observe plus vraiment, pour de vrai.
Hanna, elle fait un pas, vers la machine à mots, mais pas un de plus, on dirait Sil quand il osait pas trop approcher le bonheur, de peur de l'effrayer, justement.
- Mais elle va voler mes mots, non ? Et puis le temps que je rentre à la maison, ils auront peut-être déjà quitté ma tête.
Elle a peur, l'ange, c'est mal, ça, ça fait paniquer Sil.
Elle a peur et puis elle a plus peur, elle a trouvé. Ses yeux embrassent, là, deux cahiers habillés de cuir. Ils ont l'air calme et robuste comme ça, posés l'un tout à côté de l'autre, on dirait Jasmin et Sil y a quelques années.
Non Sil ...
On dirait deux petits carnets noirs et c'est tout.
- C'est mieux, ça. Ça va partout avec soi.
Et elle, elle voudrait bien aller partout avec lui, vous croyez ?
- Je peux avoir les deux calepins s'il vous plaît ?
Ça vaut un billet, quelques pièces de plus, mais rien, en fait, rien de vraiment important. Rien comme ce qu'elle, la petite, la fille qui a peur des machines qui attrapent les mots et les gardent pour elle, rien comme ce qu'elle, elle a pu lui offrir en tombant amoureuse de deux petits cahiers amis.
- Tiens. Joyeux Noël.
Elle lui a donné ça. Elle lui a donné un Noël.

Il y a quelques pétales de roses, tombant sur l'eau, scintillant au sein de ses yeux. Hanna, elle a les yeux doux et épineux pourtant, à la fois. Elle lui sourit, à Sil, tout en observant les carnets de cuir, juste là. Elle y voit déjà les mots, les légers dessins qu'elle pourra y glisser, quand il fait trop froid, pour être dehors. « Je peux avoir les deux calepins s'il vous plaît ? » Ses prunelles clignent comme des bouées, au milieu des eaux, alors qu'elle l'observe payer. Y'a comme une pluie d'oiseaux, là, en dedans. Une pluie d'oiseaux, dans son ventre, qui caressent les parois du bout de leurs plumes.
Ça la fait sourire encore plus, tout d'un coup.
« Tiens. Joyeux Noël. » Ça met quelques larmes dans ses yeux, un tremblement, là, dans ses doigts.
Hanna, elle lève les yeux vers lui, fait tomber toutes les larmes en dedans, et puis elle se lève sur la pointe des pieds, pour déposer un léger baiser. Un petit papillon, là, sur sa joue douce,comme celle d'un enfant, comme si le poil, il n'existait même pas. Sil, il n'a que des plumes, de toute manière. « Merci. Tu veux le rendre joyeux avec moi, dis ? » Elle l'observe avec ses yeux grands, avant de prendre les cahiers, là, entre ses doigts.
Hanna, elle hésite un peu, avant d'en ouvrir un et puis de sortir un crayon de ses poches. C'est un peu maladroit, un peu difficile dans une pareille position, mais elle dessine quelque chose rapidement, avant d'arracher la feuille, et puis de la lui tendre. « Je sais pas quoi t'offrir, alors... voilà des ailes. » L'une de ses dents s'enfoncent dans sa lèvre, et puis elle penche un peu la tête sur le côté, lui tendant toujours le papier.

Dans les yeux d'Hanna font les larmes comme dans ceux de Sil, continuellement : machine arrière. Mais celles d'Hanna sont plus douces que celles de Sil, des larmes de douceur-joyeuse, ça devrait pas se ravaler.
Enfin.
Caresse sur la joue de Sil soudain. C'est doux comme l'effleurement d'une plume, tout pareillement éphémère aussi. Deux secondes et c'est fini, Hanna est retombée sur ses deux pieds. Les yeux de Sil se baissent vers elle, comme sa joue, brûlante là où les lèvres d'Hanna sont passées.
Surprise.
Miracle de Noël.
- Merci. Tu veux le rendre joyeux avec moi, dis ?
Si encore il savait ce que c'est - joyeux, joie. C'est à peine si ses lèvres savent encore cracher le mot, c'est à peine si son cerveau est encore capable de comprendre ce que ça implique, un grand, presque gros, mot comme ça.
Joyeux.
Joyeux Noël, Sil et Hanna.
Le mot traîne dans la tête de Sil, tourne en boucle, tourne en rond, joyeuxjoyeuxjoyeux, à se demander s'il existe vraiment ce mot, ou si Hanna vient juste de l'inventer. Parce que Sil, "joyeux", il a beau faire un effort, ça lui rappelle rien.
Joyeux - et soudain on agite une feuille sous son nez.
- Je sais pas quoi t'offrir, alors... voilà des ailes.
Ça lui prend deux secondes, comme la bise de toute à l'heure, deux secondes et il y croit. Lui, oiseau à nouveau, avec dans le dos ces ailes tracées d'un trait maladroit, par des mains engourdies de l'hiver.
Et puis il retombe.
Dans la neige, ça ne fait pas trop de bruit.
C'est même tout doux.
Avec une rage inhabituelle, inattendue, il froisse la feuille dans sa poche de manteau, et grommelle.
- Parc'que tu crois que ça suffit Hanna.
Ses sourcils font colère au dessus de ses yeux.
- Tu vis où ? Dans quel monde joyeux ?
Il presse le pas - colère -, s'enfonce dans la neige.

Les plumes s'échouent lamentablement au travers de ses prunelles. Hanna peut les voir, toutes entières, tomber comme ça dans ses pupilles de Sil.
Elle redresse lentement la tête, fronce un peu plus des sourcils.
C'est une chose que l'on n'aime pas particulièrement voir, un ange qui perd ses plumes, un ange qui, dans son coeur, n'a même plus d'espoirs.
Hanna fronce un peu plus des sourcils et laisse la feuille quitter ses doigts, aller dans ceux de Sil, se froisser et puis disparaître, simplement.
Sil vient de casser ses propres ailes. « Parc'que tu crois que ça suffit Hanna. » La petite gitane, elle lève les yeux vers lui, le dévisage en silence avant de secouer la tête.
Elle est déçue. Déçue par lui, par la vie, par tout un tas de choses, en fait.
Enfin, c'est l'histoire de la vie, ça.
Sil la dévisage ; pas comme elle le voudrait, en tous cas. Elle préfère dans ses yeux brillent, et cette fois-ci, ce n'est pas le cas.
Il n'y a plus rien qui brille, que du noir. Les lumières se sont éteintes, brusquement.
Ailes froissées, Sil a élevé une rafale de vent et soufflé toute chandelle. «Tu vis où ? Dans quel monde joyeux ? » Hanna serre les dents. Elle hésite un peu, quelque part, avant de le suivre. Elle ne sait pas réellement quoi lui dire. « Il n'y a pas de monde joyeux, franchement. » C'est amer, les mots. Amer et sec. Elle essaie de le suivre mais Sil fait de grands pas, et Hanna, elle a les jambes trop petites, pour ça. « Enfin, en réagissant de la sorte, c'est certain que le tien, il sera pas joyeux, hein ! » Son pas cesse ; elle n'a pas envie de courir derrière lui. Ils ne sont pas dans un film ; Hanna n'aime même pas les films du genre, de toute manière. « Le bonheur, il tombe pas sur la tête. Et il se nomme pas Jasmin, non plus. » Les mots sont un peu crachés par la colère, mais elle n'en a pas grand chose à faire. Hanna reste là un moment, alors qu'il s'éloigne peut-être encore. Ses cheveux giflent son visage et elle soupire brusquement.
Si le monde était joyeux, Sil vient de le froisser de la même manière que la feuille, quelques secondes plus tôt.

S'enfonce dans les limbes, s'enfonce dans le tombeau qu'il s'est construit lui-même, doué de ses mains et surtout désœuvré du cœur, s'enfonce dans le désespoir, fuit le monde rendu joyeux par les fêtes de fin d'année, fuit Hanna.
- Il n'y a pas de monde joyeux, franchement.
Allons bon.
- Enfin, en réagissant de la sorte, c'est certain que le tien, il sera pas joyeux, hein !
Sa voix plus loin et Sil ne s'en sent que plus seul, comme abandonné.
- Le bonheur, il tombe pas sur la tête. Et il se nomme pas Jasmin, non plus.
Leurs colères respectives se mêlent l'une à l'autre dans le froid. Et dans la neige les pas de Sil font demi-tour, retournent à elle. Elle lui rappelle lui, avec Jasmin : la vie dans les yeux, même avec la colère, même avec l'amertume. Sil, lui, il a que le vide. C'est une lettre de plus, pourtant, pourtant.
Tout près d'Hanna à nouveau, il respire à plein nez sa colère pour calmer la sienne à lui. S'en inspirer aussi. Sa colère à elle a plus de vie que la sienne. La sienne, elle pue le désespoir.
Puis un chuchotement :
- Hanna, moi le bonheur il m'a fui, c'est tout, et maintenant c'est fini pour moi, j'ai pas l'intention de lui courir après. Il est mort le bonheur. Il s'appelait Jasmin Dahl. Dix lettres, le bonheur. Je le laisse aux autres là. Ça sert à rien de le chercher, tu comprends ?!
Pas sûr qu'elle pige, Hanna, la lumière.

Le coeur fait tambour au sein de la poitrine à le voir loin et puis près, de nouveau. Hanna, elle serre ses doigts un peu fort, là, à l'observer. Elle a les yeux grands et bleus, lumineux comme les cieux. Elle a le coeur qui bat fort et qui brise tout, au fond d'elle.
Hanna, elle a l'adrénaline dans le sang, le coeur qui danse dans la tête.
Hanna, elle a les larmes au bord des prunelles, car elle sent sa peine.
Il fait triste, Sil, comme ça. Il fait triste, le coeur en miettes, à courir derrière quelque chose qui n'est pas là. Il fait pitié, oui, comme ça, avec le coeur immense et prisonnier d'un amour d'avant, d'un amour qui, jamais, ne reviendra.
On ne court pas après le passé ; c'est un peu comme s'enfoncer un couteau en plein coeur.
On chérit les souffles nostalgiques, et on prie pour goûter de nouveau au bonheur.
On se fait une fleur.
« Hanna, moi le bonheur il m'a fui, c'est tout, et maintenant c'est fini pour moi, j'ai pas l'intention de lui courir après. Il est mort le bonheur. Il s'appelait Jasmin Dahl. Dix lettres, le bonheur. Je le laisse aux autres là. Ça sert à rien de le chercher, tu comprends ?! »
Hanna, elle a les larmes au coin des yeux et le rire, là, au bord de la gorge. Elle l'observe avec un peu de pitié et le coeur brisé, à le voir comme ça. Le voir là, enfoncé dans sa connerie, incapable d'en sortir.
C'est peut-être pour ça qu'elle s'enflamme, qu'elle le pousse avec la maigre force de ses bras et qu'elle attrape un peu de neige au sol, pour le lui jeter dessus. Elle ne porte pas attention, non, au froid trop fort, contre ses doigts.
« Idiot. idiot idiot !! » Elle hurle, Hanna. Elle a le souffle court, face à tout ça. « Le bonheur il peut porter tous les noms du monde, c'est toi, le problème ! toi, bon sang. Tu fais un arrêt sur image, sur le passé, et t'es incapable d'avancer. Tu brises ton coeur et ceux des gens qui traversent ta vie ! T'es un fantôme dans ton propre monde, c'est - » Elle grimace, Hanna. Elle sait plus quoi dire, au travers de tout ça.
Elle ne le comprend pas.
Elle, elle ne ferait pas les choses comme ça.