Elle est là l'innocente, avec ses livres trop gros pour elle dans ses bras tremblants. A la recherche d'inspiration dans cette journée ensoleillée et douce en plein mois de janvier. Elle cherche secrètement autre chose, mais se l'avouer ce serait retomber dans la nostalgie qu'elle a tentée de fuir pendant tout ce temps, comme on peut fuir son ombre d'enfant. Moira l'a bien fait après tout, son air de gamine heureuse s'est effacé au profit d'un visage plus sérieux, un peu plus dur, qui lance des appels au secours qui veulent dire aidez moi à revivre, sortez moi de là. Seulement personne ne semble capable cette parcelle d'elle-même, qu'ils appellent l'air mystérieux. Ce n'est pas du mystère non, c'est plus un feu de détresse. Les seules personnes capables de la comprendre, elle fait son possible pour les éloigner, soit parce qu'ils ressemblent trop ou pas assez à Pan. Sa part d'enfance, elle l'a laissée avec lui, il s'est déchiré pendant la séparation pour le rendre encore plus beau et enfantin. Moira elle est comme ça, à se perdre dans ses pensées puis à goûter le sol. Une pierre sur son chemin -le chemin de la vie, peut être- et la voilà au sol, tout près du précipice où un de ses livres vient de tomber, un livre de son enfance. Elle se penche en se tenant ridiculement à une touffe d'herbe, comme si c'était assez pour la retenir. Inconsciemment elle se penche jusqu'à avoir le vertige, jusqu'à avoir l'impression de tomber là, dans le vide, avec son enfance.

Elle a une de ces voix, ça sonne oreiller. Avec les plumes, et tout ça. On a envie d'y poser sa tête, ses soucis et d'y faire de beaux rêves. Quoique le Pan a pas vraiment besoin d'oreiller pour rêver, regardez-le, il le fait les yeux ouverts, sur son siège, le regard bloqué sur la fille au téléphone, la fille à la voix-oreiller; regardez-le, il est amoureux.
Mais elle raccroche et elle descend du bus.
Fin de l'histoire d'amour.
Lui, il quitte le bus à l'arrête des falaises, le cœur malade mais de quelqu'un d'autre, rien à voir avec l'oreiller. Il fait ce choix parce que sinon il se fera jeter dehors au prochain arrêt, le dernier, le conducteur en a marre de se farcir son faciès d'ange toute la sainte journée.
En écrasant un caillou, Pan se dit que lui aussi en a marre, de lui-même. D'être ce moitié gamin, moitié clown triste abandonné, toujours, récemment par son baigneur du vendredi, celui qui lui a abîmé le cœur.
D'être Pan qui rit, Pan qui pleure.
Des cabrioles de mouettes. Du malheur en lui, comme un cancer.
Des montagnes russes dans son cœur : joie, peine, joie, peine. La roue tourne et s'arrête sur pe ... joie. Place au bonheur, Pan devient un sourire.

Oh, les enfants, ils n'ont pas peur de mourir, mieux : ils ont cette belle idée comme quoi la mort n'existe pas. Juste une invention de l'industrie hollywoodienne pour faire pleurer les filles au cinéma.
Les enfants pensent qu'on peut tirer éternellement sur le fil de la vie, comme sur un élastique, les enfants se disent pas qu'il peut péter, le fil.
Alors ils tirent, Pan tire, avec sa matière téméraire d'enfant, son corps invisible aux yeux de la mort, Pan, il court juste au bord des falaises assassines, spectatrices de suicides, arraches-cœurs. Mais ça il le sait pas. Pas de mort, pas de méchants.
Et puis au loin, près du soleil, quelqu'un tombe, un livre, une fille aussi, une fille-femme, de celles qui font peur à Pan - trop adultes. Mais celle-là est en peine, vulnérable elle perd de sa grandeur pour le gosse.
Pan fait un pas, elle se relève.
Tangue à nouveau côté mer affamée, cette fois Pan vole à elle et à son secours.
- Vous allez encore tom ...
Boum.
- ber.
C'est son cœur à lui qui a lâché : tombé dans les fins fonds de son estomac.
Devant lui, Moira "Je dois grandir" Cyel.

C'est le vide qui l'aspire sans qu'elle puisse faire quoi que ce soit pour s'en sortir. Ce vide, il est comparable à l'âge adulte, il est trop fort pour que les maigres bras de Moira y résistent. Une fois dedans, le retour en enfance est abrupt, la pente top raide et trop longue pour la plupart des personnes. Mais à deux on y arrive, pas vrai ? A deux la force est décuplée, les montagnes se transforment en ridicules collines. La pauvre Moira, elle est seule et elle sent bien que le vide veut un peu trop d'elle. Elle est déjà à moitié dedans à vrai dire, mi-femme mi-enfant, mais ce n'est pas assez, ce n'est jamais assez puisque l'innocence propre aux enfants a disparue. Elle la retrouve parfois dans les livres pour gamins, ils sont sa seule attache à ce monde oublié. C'est alors naturellement qu'elle se penche un peu trop quand un des bouquins part s'écraser contre les rochers, comme elle a pu le faire il y a quelques années. Pourtant, contre toute attente, un bras l'attrape pour l'empêcher de sombrer totalement dans ce monde qui l'effraie.

- Vous allez encore tom ...

Un regard, juste un.

- ber.

Moira elle a l'impression de vaciller une nouvelle fois, d'être en chute libre tout en ayant les pieds sur terre. Pan, symbole de son enfance se tient devant elle, il a le physique d'un homme, mais l'âme d'un enfant. Il est venu, peut-être par hasard, peut-être pour la sauver, mais il est là, face à elle après tout ce temps. C'est tout son cœur un peu trop adulte qui est partagé entre l'envie de sourire, de se jeter dans ses bras ou celle de fondre en larmes en voyant ce qu'elle est devenue, une enfant qui a grandie trop tôt. Alors elle fait ce qu'elle sait encore fait le mieux, être dans la demi-mesure et murmurer pour que leur conversations restent secrètes, pour ne pas les faire partager aux adultes.

- Non, je ne tomberais plus.

parce que tu es là. Mais elle est devenue bien trop mature pour l'exprimer, et puis elle vient tout juste de le revoir lui, ce Peter Pan aux traits forgés par ses rêves. Elle se souvient de leur pays imaginaire, de Peter et Wendy qui voyagent ensemble par la seule force de leurs pensées. Wendy a grandie trop tôt, mais elle se souvient de tout à présent, même de son départ pour fuir l'enfance, grossière erreur. Elle se redresse un peu, tout en restant assise et sa voix s'échappe à nouveau dans un souffle.

- Je suis désolé, je voulais pas vraiment grandir aussi rapidement tu sais.

Des deux gosses-oiseaux, il fallait bien une responsable, une maman, c'était elle. Celle qui surveillait l'heure. Celle qui frottait leurs vêtements pour en faire dégager la poussière embarrassante. Ou cacher les trous causés par les branches des arbres. C'était elle qui tenait leur amitié par la main - c'est elle qui l'a commencée, la première à avoir fait rencontrer leurs regards - c'est elle qui l'a terminée, aussi, à coups de maturité.
La revoilà. Adulte. À faire chanceler son cœur encore.
Moira la belle, Moira la plus belle, il l'a toujours su.
On leur prédisait les étoiles. Et d'autres trucs en forme de mariage. Ceux-là, ils s'aimaient trop pour que ça en reste là : platonique. Pan, il y croyait pas, avec Moira, il savait qu'un jour y aurait un truc qui bloquerait. Quand elle était petite, elle était déjà grande.
Maintenant elle est magistrale. Chaussée sur un mètre soixante dix de sérieux.
Méconnaissable. Les cheveux, fibres d'obscurité, grands, comme elle. Les yeux, à l'image de l'océan qui se brise contre les falaises, là, en bas. Et sous eux, les tâches de rousseur, les tâches d'étoiles.
Il recule juste d'un pas, et elle, elle dit
- Non, je ne tomberais plus
avec un petit goût d'inachevé.
Et l'ancienne gamine, à terre, elle se redresse, port de danseuse, port d'étoile.
- Je suis désolé, je voulais pas vraiment grandir aussi rapidement tu sais.
Pan sent le paradoxe dans ses mots : grandir, rapidement.
Grandir, c'est pas comme ça que ça marche dans le monde de Pan, le monde imaginaire des enfants, là-bas grandir c'est un état perpétuel, éternel, infini. On ne grandit pas trop rapidement, ça n'existe pas, ça.
Rien que pour ces mots, Pan, il est amertume à nouveau.
Mais parce que c'est Moira, parce qu'elle a failli mourir pour sauver un livre, parce qu'elle est toute douce assise en tailleur contre l'herbe, parce qu'elle a de la tristesse dans les yeux (sous forme de mini-larmes invisibles aux yeux des adultes) ... Pan se pose en lotus, face à elle, pas trop près, un mètre entre eux.
- Je m'en fiche. Tu m'as abandonné. Mais bon.
Petit sourire. Genre c'est du passé.
"Mais bon".
- Moi je voudrais bien t'aider à faire le chemin inverse, mais c'est pas possible, tu comprends ? On passe pas d'un monde à un autre comme ça, surtout quand on a fait comme si il existait plus. T'as fait comme si j'existais plus ... Moi, et les autres enfants. Alors voilà, t'es bloquée avec les adultes maintenant. Pour l'instant.
Oh, cette moue triste qu'il a ...

Le visage de Pan se referme sur lui-même, elle est maladroite Moira, elle ne sait plus bien comment faire pour se comporter comme un enfant et cette douceur naturelle. Elle ferme les yeux quelques secondes, juste le temps de se rappeler des odeurs sucrées de l'enfance. Les barbes à papa, les gâteaux de sa mère, les glaces à l'eau, petite fille rêveuse elle cachait dans son placard ses dizaines de trésors, des sucreries colorées, qui palpitent sous la langue, son secret de petite fille que Pan partageait, comme tout le reste. Elle entend encore la voix de sa mère chuchoter au loin que ces deux gamins finiront ensemble tôt ou tard, ce fut sa seule erreur. Peter et Wendy c'est plus fort qu'une simple histoire de couple, mais le lien s'est brisé par la maturité de l'enfant-Moira et l'enfance éternelle de Pan, toujours aussi beau.

- Je m'en fiche. Tu m'as abandonné. Mais bon.

Sa gorge se serre, oui elle l'a abandonnée, elle a déménagée et puis elle a grandie. Pourtant, elle se tient là avec sa fierté d'adulte qui empêche ses yeux de rougir sous l'émotion. Moira ne pleure plus, c'est devenue une éponge qui encaisse beaucoup pour les autres et qui déverse toutes ses larmes dans les livres.

- Moi je voudrais bien t'aider à faire le chemin inverse, mais c'est pas possible, tu comprends ? On passe pas d'un monde à un autre comme ça, surtout quand on a fait comme si il existait plus. T'as fait comme si j'existais plus ... Moi, et les autres enfants. Alors voilà, t'es bloquée avec les adultes maintenant. Pour l'instant.

Elle baisse les yeux l'enfant, comme si elle avait honte de ça, d'avoir grandie. Elle sait pourtant que le monde des enfants peut devenir malsain à la longue, mais elle n'a pas la force pour le moment d'aider Pan à grandir, elle veut d'abord re-goûter un peu à cette innocence, cette sensation de voler qui n'est possible nulle part ailleurs. Sa voix fluette s'envole dans un murmure, elle n'a pas grandie.

- J'ai envie de faire le chemin inverse, de changer de monde pendant de quelques temps puis de retourner dans celui des adultes, plus sereine. Je.. J'ai pas voulue t'abandonner Pan, j'ai grandie mais je le regrette.

Léger soupir qui s'envole dans une brise, le vent se tait et elle parle.

- Tu n'as pas l'air d'avoir changé, comment as-tu fait pour résister au mauvais monde ?

Vu sa moue d'enfant, elle a envie de le prendre dans ses bras, mais c'est peut-être trop précipité, elle vient tout juste de le retrouver, lui enfant, elle adulte. Voilà que l'enfant n'ose plus le regarder dans les yeux, elle fixe l'herbe qu'elle arrache nerveusement du bout de ses doigts dénué de tout vernis, un peu abimés par l'effet du temps, mais toujours fins comme ceux d'un enfant. Réponds lui, avant qu'elle étouffe.

Il se perd les yeux dans les cieux, Pan. Qu'est-ce qu'ils ont pu en rêver, avec Moira, quand ils étaient petits. Admirer, vénérer. Et puis ils ont fini par en devenir, des étoiles, des amies de la lune, et c'est justement là que Moira a grandi. Moira, soleil mature.
Et Pan, étoile filante, mourante.
- J'ai envie de faire le chemin inverse, de changer de monde pendant de quelques temps puis de retourner dans celui des adultes, plus sereine. Je.. J'ai pas voulue t'abandonner Pan, j'ai grandie mais je le regrette.
Pan pèse le pour et le contre, l'amour contre le désamour, la vie avec Moira, la vie sans Moira.
Redevenir l'enfant.
Puis repartir chez les adultes.
C'est moche comme deal, mais Pan, Pan aux idées enfantines ne voit pas le piège dans les mots, il agite la tête en un oui, pour lui.
- Tu n'as pas l'air d'avoir changé, comment as-tu fait pour résister au mauvais monde ?
C'est un secret.
Un secret qu'il aurait volontiers partagé avec elle il y a quelques années, pour qu'ils restent ensembles, à jamais, à toujours, deux âmes d'enfants dans des corps adultes, mais malgré tout trop étroits pour leurs rêves gigantesques, impossibles.
Un secret qu'il lui aurait dévoilé sans qu'elle ait même besoin de lui demander. Il l'aurait emmenée dans les bois, là où même le vent n'aurait pu les atteindre, bloqué derrière le barrage des feuilles d'arbres. Il aurait capturé son oreille le temps du secret. Ils auraient ri ensembles devant l'évidence de la chose. Moira aurait papillonné des yeux, très vite, en joie, et aurait murmuré : mais oui, bien sûr, j'aurais du m'en douter, j'aurais du trouver toute seule.
Mais maintenant les choses ont changé, les choses ont ... Grandi.
Maintenant Moira est grande, Pan est toujours petit, toujours jeune, toujours petit et éternel apprenti de la vie.
Il secoue la tête, oui.
Il secoue la tête, non.
Comment on fait pour reprendre là où on s'était arrêtés ? Comment on retrouve la complicité avec quelqu'un, au point de lui faire la plus belle des confidences ? De lui confier le secret le mieux gardé du monde des enfants ?
Il se lance. Se jette à l'eau, se jette dans le vide.
- C'est l'ombre. Ton ombre, celle que le soleil te montre, accrochée à toi. Il y a un moment dans la vie des gens où elle prend le dessus sur eux. Elle les noircit. Eux ils se laissent faire. Et avec l'influence de l'ombre, ils deviennent ... grands. Matures. Aigris, cyniques, les yeux aveugles aux belles choses. C'est ça le secret Moira. Rester le plus loin possible de son ombre.
Et il a ce regard qui murmure, crie, pleure, j'espère que tu ne me décevras plus.

Une gamine qui a voulu courir trop vite, une gamine qui a voulu murir trop vite, mais qui ne sait pas choisir, qui est incapable de se décider. Une gamine qui va tôt ou tard se ramasser en beauté, sur un des bâtons placés sur la route des grands. Elle se souvient de tout ça Moira, de cette enfance avec Pan dans le rôle du plus grand des amis, le plus beau aussi. C'était beau, c'était sot, un leurre peut-être mais peu importe. Elle a cru guérir de tout ça, au final elle n'a fait que déraper pour se retrouver face à la vérité, la cruelle vérité qui ferme son visage à cet instant. L'envie de continuer sur sa lancée d'un côté, celle de retrouver une part d'enfance de l'autre et elle au milieu, tiraillée, comme si elle avait deux petites consciences sur chaque épaule, dans l'attente d'un jugement. Peut-être qu'elle va seulement chavirer pendant quelques jours, quelques mois tout au plus pour une nouvelle fois revenir à la dure réalité. Et pourtant.

- C'est l'ombre. Ton ombre, celle que le soleil te montre, accrochée à toi. Il y a un moment dans la vie des gens où elle prend le dessus sur eux. Elle les noircit. Eux ils se laissent faire. Et avec l'influence de l'ombre, ils deviennent ... grands. Matures. Aigris, cyniques, les yeux aveugles aux belles choses. C'est ça le secret Moira. Rester le plus loin possible de son ombre.

Son ombre. L'idée ne lui a jamais traversée l'esprit alors par réflexe elle pose son regard étonné sur le sol, mais la pénombre recouvre toute l'ombre. La nuit elle, est plus forte que tout, elle fait disparaitre les ombres, les maux et elle fait se retrouver les âmes sœurs.

- Si tu savais comme j'ai peur.. Je ne sais pas par où commencer, ni même si je dois le faire, je crois que je ne connais plus le mode de fonctionnement et puis.. Si tu ouvres bien les yeux, tu pourras voir que le monde adulte n'est pas si terrible, il y a des bas, mais aussi des hauts, de nouvelles choses qui peuvent t'émerveiller. Cette ombre elle est là depuis un moment déjà et moi je vacille, entre le retour en enfance ou le monde où je suis actuellement. Il va falloir que tu m'aides, d'accord ?

Sa gorge se serre, à chaque mots elle a l'impression que des mains inconnues l'étranglent pour mieux la soumettre à ce choix en apparence impossible à faire. Enfin, elle ose plonger son regard dans celui, infini de Pan et ce n'est pas le froid qui provoque ce long frisson le long de son échine, c'est tout son être.

- Je suis quand même heureuse de te revoir, Pan.. Je vais réussir à faire une marche arrière, je te le promet.

Heureuse. Le mot est faible. Elle est comme ça Moira, pudique, timide, un peu réservée, sauf quand elle (re)connait les gens qui l'entourent. Pour accompagner sa promesse, elle sort sa main de sa poche pour la tendre à Pan et lui offrir la possibilité de la serrer, comme ils le faisaient autrefois pour se jurer quelque chose, n'importe quoi tant que c'est réel. C'est peu, mais la signification est grande vu les circonstances. C'est un premier pas vers l'apprentissage du retour à l'enfance.

Elle lève les yeux, la Moira, la beauté, elle fait lui fait remarquer qu'il fait nuit maintenant. Tombé, le soleil. Majestueuse dans son règne, la lune.
- Si tu savais comme j'ai peur.. Je ne sais pas par où commencer, ni même si je dois le faire, je crois que je ne connais plus le mode de fonctionnement et puis.. Si tu ouvres bien les yeux, tu pourras voir que le monde adulte n'est pas si terrible, il y a des bas, mais aussi des hauts, de nouvelles choses qui peuvent t'émerveiller.
Il tire la grimace, fronce le nez, plisse les yeux, rejette cette idée. C'est tout Moira ça, avec Moira tout est beau, même les adultes.
Même les adultes.
- Cette ombre elle est là depuis un moment déjà et moi je vacille, entre le retour en enfance ou le monde où je suis actuellement. Il va falloir que tu m'aides, d'accord ?
Il hésite, Pan, promené entre deux choix, le oui - retrouver Moira - et le non, motivé par la rancœur. Son questionnement a goût d'enfance, et finalement il laisse. Laisse partir, laisser passer, laisse filer.
C'est un grand oui.
Avec le o de la pleine lune, le u comme une montagne à l'envers et le i comme une danseuse.
- Je suis quand même heureuse de te revoir, Pan.. Je vais réussir à faire une marche arrière, je te le promet.
Elle propose la paix, sort une longue main blanche de sa poche. Pan la sert franchement, sourire à l'appui. Elle aussi, elle est sourire, ils se mélangent tous les deux dans la nuit noire.
Peut-être pour toujours.
Leurs sourires enlacés.
Leurs cœurs côte à côte.
Deux enfants, éternel pour lui, tout nouveau pour elle.
- Viens, on va courir. C'est en courant que tu fais comprendre à l'ombre que c'est toi le chef, c'est à elle de te courir après !
À elle de rester une enfant et d'obéir.
- Les adultes ils courent pas, jamais. « Oh mes rhumatismes », « Chui trop vieux pour ces conneries » ... Tu parles ...
Il rit aux éclats d'étoiles, Pan.
Les adultes le désespèrent, lui font peur, mais le font rire, aussi, ils sont un peu comme la mer. Il les imite bien, les grands. Leur air froncé-concerné leur ton préoccupé leurs pas de personnes fatiguées de la vie.
- Ils courent jamais, c'est pour ça qu'ils perdent leurs amours.
Et là il s'arrête dans ses blagues parce que lui non plus, n'a pas couru après son amour pour le rattraper, et maintenant, il ne le retrouve plus.
- Allez, on fait la course !
Il s'élance, il danse, un peu.
Pan, il a l'habitude de courir, il court, tout le temps, après la vie, après les jeux, après la joie, et sinon, il prend le bus.
Deux pas derrière lui il y a Moira, et son ombre qui commence déjà à prendre le dessus. Elle lui a demandé de l'aider et il a dit oui alors il la prend par la main et l'emmène voler avec lui.

Les mains s'entrechoquent, la paix est scellée. Ça fait sourire Moira, pas d'un air sérieux non, c'est plutôt de la détermination et de l'amusement face à ce qu'elle imagine pour la suite. Peut-être qu'elle se plante complètement, encore, mais elle sait que si ses ailes lâchent en plein vol Pan sera en bas, parce que ses ailes à lui elles sont éternelles. Moira c'est encore du papier mâché, Pan c'est plus comme un beau cuir, ça a une bonne odeur et ça rappelle de bons souvenirs. C'est beau, comme lui.

- Viens, on va courir. C'est en courant que tu fais comprendre à l'ombre que c'est toi le chef, c'est à elle de te courir après ! - Les adultes ils courent pas, jamais. « Oh mes rhumatismes », « Chui trop vieux pour ces conneries » ... Tu parles ...

L'enfant en devenir est intriguée par cette vision des choses, comme avant son visage se tourne un peu sur le côté, ça lui plait bien de faire la guerre à son ombre en courant, même si elle n'est pas une très bonne sprinteuse.

- Ils courent jamais, c'est pour ça qu'ils perdent leurs amours.

Tout comme Moira a perdue Pan. Elle n'a pas courue et elle a failli perdre son plus grand ami.

- Allez, on fait la course !

D'un bond elle se relève et s'élance à la poursuite de Pan qui a déjà détalé, lui il a l'habitude. Elle court, elle saute dans les flaques à pieds joints en esquissant un sourire serein qui se transforme en éclat de rire. Ses yeux reprennent enfin une teinte de lumière, ils sont moins ternes. Le bonheur cogne dans ses veines alors elle pousse ses jambes frêles à voler une dernière fois pour dépasser Pan, même de quelques centimètres. Il a sûrement fait exprès de ralentir pour la laisser gagner, c'est un gentil Pan et puis ça redonne confiance à Moira. Son sourire menace de briser la commissure de ses lèvres tellement il est grand, il faut dire que son visage n'est plus habitué mais peu importe, elle se sent vivante. En attendant de reprendre son souffle, ses yeux-soleil parcourent les alentours à la recherche d'un jeu, d'une opportunité de bonheur. Soudain, une idée, elle se retournent vers l'enfant immortel.

- Tu crois que si je monte à un arbre, l'ombre me suivra ?

Elle s’élance en courant, encore vers l'arbre le plus proche pour être sûre de ne pas perdre Pan de vue. Elle a toujours été douée pour grimper aux arbres, gamine elle montait tout là-haut pour dévorer ses bouquins. Agile, elle monte rapidement en haut de l'arbre et elle s'installe sans crainte sur une branche, ses pieds se balancent joyeusement dans le vide. Nouveau rire, elle parle un peu fort, comme si elle était dans les nuages et Pan encore sur le sol.

- Tu vois elle m'a suivie, mais elle est faible, elle sait pas monter aux arbres elle.

D'un unique regard elle invite son ami à la rejoindre, comme avant quand ils étaient tout les deux enfants.

Deux petits oiseaux, ils rejoignent tous les autres, tous les gosses qui volent ensembles en tenant les adultes à l'écart. Moira, c'était le grand oiseau qui s'était perdu en chemin, qu'on avait laissé derrière et qui maintenant est de retour, on l'a retrouvé au détour d'un nuage. Et tout le monde fait comme si de rien n'était. Mais tout le monde est content.
Surtout Pan.
" Pan ", bizarrement, ça fait coup de fusil. Pan ! Et c'est comme ça qu'il court, finalement. Il est la balle qui s'échappe de l'arme, propulsée, et qui court, court, vite.
Pas trop vite quand même, pas trop vite pour que Moira, plus petit calibre, débutante encore, se laisse pas trop dépasser par les évènements de l'enfance. Moira qui le devance sans savoir qu'il la fait exprès, galant, prévenant. Puis Moira qui s'arrête en plein dans sa course.
Qu'est-ce qu'elle a ?
Pan ronchonne à l'avance, si elle veut encore s'en aller du royaume des enfants ... Se laisser faire par son ombre ...
- Tu crois que si je monte à un arbre, l'ombre me suivra ?
Mais non, elle veut jouer.
Elle veut être enfant, elle veut courir plus vite que son ombre, elle veut la laisser tomber pour aller se marrer avec Pan et avec les autres gosses. Elle veut escalader l'arbre et elle le fait. Pan reste en retrait, le corps paralysé d'admiration. Elle est belle Moira, quand elle marche sur l'arbre, elle monte sur lui comme elle grimperait sur les marches d'un escalier, c'est naturel pour elle. Naturelle, l'enfance.
Du haut de son trône, elle crie. Elle rit.
- Tu vois elle m'a suivie, mais elle est faible, elle sait pas monter aux arbres elle.
À son tour Pan abandonne son ombre sur le sol et va retrouver Moira parce qu'elle a l'air de bien vouloir partager son règne avec lui, qu'il soit roi de l'arbre, roi des enfants, roi des corps séparés des ombres. Il aborde les branches de l'arbre une à une, en essayant d'être le plus doux possible avec elles, de pas leur faire trop de mal et d'éviter les rares feuilles de printemps tout justes nées.
D'en haut, il voit leurs ombres restées sur la terre ferme.
Il y a celle de Moira, un peu plus grande que la sienne, et c'est surtout elle qu'il est ravi de voir là-bas, en bas.
Il lui tire grand la langue, gamin.
- Allez, va-t-en ! Tu peux t'en aller, Moira n'a plus besoin d'toi !
Il s'arrête, il hésite dans son empressement, il regarde Moira avec ses yeux qui brillent de pleins de choses.
- Tu vas rester, maintenant, hein ?
Rester avec moi, rester avec les enfants.

La simplicité, c'est tellement plus joli par moments. Les problèmes d'adulte, les factures, la complexité des sentiments, ils se sont envolés, trop faibles pour résister au regard gamin de Pan. Celui de Moira change progressivement, comme un dégradé, elle passe du sérieux à l'amusement, elle touche le monde des enfants du bout des doigts et bientôt elle sera capable d'y plonger la tête la première sans craintes. Au côtés de son ami, elle ré-apprends à sourire, elle apprivoise une nouvelle fois la simplicité, la beauté des petites choses, les sourires timides et les gestes maladroits. Son regard brille d'émerveillement face à ce changement qui a opéré en quelques instants, le temps de quelques paroles bien placées. Elle fixe son ombre restée au sol, ça fait longtemps qu'elle ne l'avait pas vu si loin, même s'il y a encore du chemin à faire pour prendre le dessus.

- Allez, va-t-en ! Tu peux t'en aller, Moira n'a plus besoin d'toi !

La mi-femme mi-enfant éclate de rire en entendant ces paroles, il a raison, sur toute la ligne. Elle n'est plus seule maintenant, alors son ombre peut s'en aller embêter une autre personne.

- Tu vas rester, maintenant, hein ?

Elle hésite, quelques instants. Son air trop sérieux se calque sur son visage pendant quelques secondes et puis son sourire le fait s'enfuir, lui aussi. Comme avant, elle pose doucement ses doigts sur ceux de Pan, sans lui prendre la main. Prendre la main ça fait trop officiel, trop sérieux. Et elle sent son cœur pas très adroit, qui bat mal et pas en rythme. Comme une gamine qui touche pour la première fois le doigt de son chéri au cinéma. Sauf que là c'est pas son chéri, c'est juste son ami qui sait rendre les choses plus belles. Il est petit par la taille, mais Moira souris en pensant que son cœur doit prendre au moins la moitié de son corps, si ce n'est plus. Elle reprends ses esprits, la question lui était presque sortie de l'esprit, lui aussi un peu perturbé.

- Oui, je reste maintenant, je vais essayer..

Les promesses lui font encore peur, elle se sent pousser des ailes sur cet arbre, mais une fois au sol elle aura peut-être du mal à vaincre encore cette ombre, elle sera peut-être trop faible. Elle est plus douée pour écrire ou lire le bonheur plutôt que pour le pratiquer, mais elle a envie d'être maitresse d'elle-même pour dompter ses sentiments souvent contradictoires.

- Tu n'as jamais été tenté de grandir toi ?

La vie d'adulte c'est toujours tentant, et pourtant c'est loin d'être aussi beau que dans l'imagination des rêveurs. Doucement, la nouvelle enfant ferme les yeux pour mieux savourer la brise qui vient lui lécher le visage, elle n'a pas envie de descendre de son arbre, de leur arbre, son ombre peut bien attendre un peu. La voilà qui se met à califourchon sur la branche pour gratter à l'aide de son maigre ongle sur le tronc et former un "P M", comme tout les enfants heureux d'être ensembles, comme une tradition pour dire que l'histoire ne fait que commencer.