Étalé sur la moquette de sa chambre, Travis fixait léthargiquement son plafond tandis que son jumeau se grillait une cigarette, assis contre le pied du lit. Une main posée sur son torse nu, le cadet — de quelques minutes — était perdu dans ses pensées. Ses quelques tatouages étaient visibles et certains ressemblaient quelque peu à ceux de son frère. Jusque dans les moindres moments de leur petite vie, ces deux-là avaient toujours été proches — voire beaucoup trop proches selon leur famille. Une complicité qui n’avait jamais été du goût de leur grand frère, Riley, qui jalousait le fait qu’ils puissent compter l’un sur l’autre quand lui se retrouvait seul. Les jumeaux prenaient d’ailleurs un malin plaisir à l’emmerder dès que l’occasion se présentait; bon nombre de fois, Kiran avait piqué ses petites copines, aidé par son fidèle Travis qui jouait les entremetteurs. Un duo rôdé jusque dans les moindres détails et absolument inséparable qui n’hésitait pas à pousser le vice toujours plus loin. L’un de leur jeu favori était d’ailleurs de se lancer des défis complètement barrés qui pouvaient parfois aller très (trop ?) loin. Kiran avait constamment pris le dessus et savait comment soumettre Travis à ses idées tordues. Celui-ci avait toujours subi, bien que tout ce qu’entreprenait son double le fasse rire. Il ne rechignait pas à faire ce qu’on lui demandait… Mais en cette fin d’après-midi, Travis avait décidé d’être joueur. Une situation qui n’allait peut-être pas être au goût de Kiran, lui qui détestait se voir imposé quelque chose. Pour autant, tous deux connaissaient la règle du jeu : toujours accepter les requêtes de son jumeau, même les plus folles d’entre elles.
Se redressant pour s’asseoir en indien sur la moquette, Travis posa ses yeux d’acier sur son double. Quand ce dernier croisa son regard, Kiran comprit instantanément ce qui allait se passer dans les prochaines minutes : un combat de coqs des plus sanglants. Il écrasa sa cigarette dans le cendrier posé sur le lit et glissa sur la moquette pour se placer juste devant son frère, à quelques centimètres. Dans la même position que lui, il proposa ses mains à Travis qui les prit dans les siennes. Leur regard se fixait intensément, le but étant de ne pas ciller et de faire ce que l’autre ordonnait.
Retire ton grigri. Kiran esquissait un sourire en coin : il savait que son frère détestait ça.
Mais merde Kiran, tu sais que j’déteste quand tu me demandes ça ! Tu fais chier… Ronchonnant dans sa barbe, Travis finit par ôter son collier fétiche en tissu au bout duquel pendait une tête de mort miniature en ivoire. L’aîné lui arracha des mains et le balança à travers la chambre. Et tout cela, sans qu’aucun d’eux ne quitte le regard de l’autre.
Tu veux jouer ? Très bien. Travis sortit son briquet de sa poche et l’actionna.
Pose ta main au-dessus de la flamme jusqu’à ce que je te dise d’arrêter. Kiran retint son poing qui tremblait sur son genou. Il se pinça les lèvres dans une rage non dissimulée et fit ce qu’on lui demandait. La chaleur n’était pas insupportable au départ… Et petit à petit, ça commençait à devenir douloureux. Vraiment très douloureux. La peau fondait doucement alors que leurs regards ne se quittaient pas. Kiran fit tout ce qui était en son pouvoir pour ne pas stopper ce jeu stupide… Il l’avait voulu, il devait assumer. C’était bien la première fois que Travis se montrait si vil et sadique. Ça le faisait autant marrer que rager. Perdait-il son emprise sur son jumeau ? Ou la situation se retournait-elle contre lui ? Toutes ces questions qui se bousculaient dans sa tête lui firent perdre un instant le fil de la réalité avant que la flamme dévorant davantage la paume de sa main ne lui arrache un cri. Travis éteignit son briquet tandis qu’une cloque assez conséquente s’était formée dans la main de Kiran. Le pourtour était à vif.
Je vois que tu commences enfin à en avoir dans le pantalon, p’tit frère. À mon tour de jouer. Travis déglutit bruyamment.
Grille-toi une clope. Le cadet ria, pensant un instant que ça allait être vraiment simple. Il alluma donc sa cigarette et Kiran lui chipa des doigts.
Tends ton bras maintenant. Tout de suite. Le ton ne se faisait plus joueur. D’un geste sans douceur, Kiran planta la cendre de sa cigarette dans l’avant-bras de son cadet en tournant légèrement. Travis se mordit la lèvre inférieure presque à sang, quelques larmes perlant sur ses joues rosées. Son bourreau finit par arrêter le supplice. Travis renifla, pris de sanglots, avant de souffler doucement sur sa propre brûlure comme pour apaiser la douleur… Ce petit jeu dura quelques dizaines de minutes au bout desquelles les jumeaux en sortiraient scarifiés, énervés et presque en pleurs.
J’ai encore gagné, faut croire. Claironna Kiran, sourire aux lèvres, alors qu’un silence de plomb s’installait dans la chambre. Travis était recroquevillé dans un coin, les jambes repliées sur lui-même, ses bras serrant ses genoux. Il se balançait d’avant en arrière et pleurait silencieusement. Kiran se décida à approcher, à pas feutrés pour ne pas le brusquer. Il hésita un instant mais finit par poser une main qui se voulait rassurante sur son épaule. Peut-être s’en voulait-il d’avoir fait subir ça à son petit frère…
Allez, arrête de chialer un peu merde. Travis s’arrêta et se tourna vers son frère. Leur regard se croisa de nouveau.
On a pas fini de jouer. Quoi ?! Arrête ça va mal finir si on continue comme ça. T’as vu dans l’état dans lequel tu te mets à chaque fois ? Ferme-la, j’t’ai dit qu’on avait pas fini de jouer. Travis poussa son jumeau qui s’étala sur le dos avant de monter à califourchon sur lui.
Embrasse-moi. Kiran restait estomaqué.
T’es sérieux là ?! Jamais d’la vie, tu m’entends ? T’es taré ma parole. Travis ne cilla pas.
Ce sont tes règles du jeu, et j’ai dit qu’on en avait pas terminé. C’est clair ? Le ton se faisait presque menaçant. Les mains tremblantes de Kiran se posèrent sur les joues de son cadet. Se redressant un peu, il approcha doucement ses lèvres des siennes… Le baiser se voulait d’abord timide, voire repoussant, avant que tous deux ne finirent par en profiter quelque peu. Travis passa ses bras autour de son double comme pour l’emprisonner, la tension se faisant facilement ressentir. Il était clair qu’il appréciait. Après quelques minutes, Kiran souleva sans difficulté son cadet qu’il allongea sur la moquette. Il déposa un baiser sur son nez avant de se relever.
Ferme-la. Prévint Kiran en ôtant son tee-shirt et en allant tourner la clé dans la serrure de la chambre.
∞
La basse Angleterre. Douvres. Cette «putain de vie de merde», comme dirait Kiran. Moi je m’en accommodais aisément. C’était le seul endroit que je connaissais, là où j’ai grandi, là où ma mère s’est saignée pour nous faire vivre après la mort de mon père. Kiran rêverait de m’emmener vivre ailleurs.
Lui, c’est un passionné, un idéaliste. C’est mon contraire. Mon pessimisme le met parfois hors de lui — tout comme certains autres aspects de mon comportement. C’est mon frère après tout, il espère simplement le meilleur pour moi. Ce qu’il ne pense pas, c’est que je n’ai peut-être pas envie de mener la même vie que lui. Je n’ai pas envie de faire des études. Je n’ai pas envie de quitter ma mère. Et même si Riley nous tape sur le système du haut de ses vingt-cinq ans trois-quarts, il est de notre sang. Les rêves, quand on vit là et qu’on fait partie de la classe défavorisée, c’est indécent.
C’est indécent, tout comme ce qui se trame entre Kiran et moi. J’ai parfaitement conscience que c’est mal. J’ai conscience que ma mère serait capable de nous mettre à la porte. J’ai conscience aussi que les ennuis nous pendent au nez si la population de Douvres venait à l’apprendre. Mais j’ai surtout conscience que je ne peux lutter contre Kiran et son emprise sur moi. Il est mon double, mon âme-sœur, celui en qui je voue une admiration sans borne. Et pour tout ça, je le crains. Je le crains car il est excessif. Je le crains car il sait me pousser à bout. Je le crains car je l’aime.
Lui et ses excès. Je sais pertinemment qu’il n’a aucune morale, et c’est là où réside notre principale différence. Contrairement à lui, j’ai une conscience, et des remords. Ce que nous avons fait la dernière fois, c’était mal. Mais c’était surtout de ma faute. Il me fait peur, car il fait sortir ce qu’il y a de plus mauvais en moi. Je crois en Dieu, j’aspire à réprouver mes pulsions, ne serait-ce que pour me protéger du regard extérieur. Kiran se fiche éperdument des conséquences, même s’il veille à préserver une image de lui parfaite en toute circonstance. Il arrivera pourtant un jour où il commettra une erreur, et la chute sera douloureuse… pour nous deux, pour notre famille, pour notre amour.
Toutefois, pour le moment, c’est moi qui ai fauté. Kiran n’est pas du genre à partager. Possessif et jaloux à l’extrême, il est impensable que je puisse trouver du réconfort dans les bras de quelqu’un d’autre. Il ose même me regarder droit dans les yeux, me l’interdire, et retourner s’enfiler deux ou trois victimes. Alors j’ai voulu me venger, et j’ai rencontré quelqu’un. Kiran s’en ai mordu les doigts, mais ça ne l’a pas arrêté pour autant. Je n’ai jamais su ce qu’il s’était passé, ce qu’il lui avait fait pour l’obliger à me quitter et à partir. Toujours est-il que nous nous sommes perdus de vue, jusqu’à ce fameux soir au bord de la plage. Au son des banjos, je l’ai reconnu. Nos regards se sont croisés de nouveau et ses yeux d’opale m’ont charmé plus que de raison. Ses lèvres suaves ont parcouru mon corps une bonne partie de la nuit et je récoltais sur son torse le fruit de nos ébats. Cherchait-il à provoquer mon frère ou à assouvir un désir refoulé ? Je ne voulais pas savoir. Et à nouveau, mes craintes refirent surface lorsque j’émergeais d’un profond sommeil sur le sable chaud. Je n’étais pas rentré à la maison; Kiran allait littéralement péter un boulon.
Il était dix heures du matin, on était dimanche, et ni Kiran ni moi ne travaillions. La journée risquerait de s’annoncer longue et mouvementée. Je poussai la porte du foyer familial. Ma mère me sourit, si naturelle dans son peignoir fleurie. Je l’embrassai sur le front.
J’en connais un qui s’est bien amusé hier soir. Elle me gratifia d’un autre sourire et baissa les yeux vers son café.
Ton frère n’a pas dormi de la nuit. J’ai cru l’entendre pleurer, mais je n’en suis pas sûre. J’ouvris la bouche mais ma mère poursuivit.
Continue de vivre ta vie Travis, ne te focalise pas entièrement sur lui… Elle se leva, posa une main attentionnée sur mon épaule et sortit de la pièce. Mon regard craintif se posa sur les escaliers. À l’étage se trouvait notre chambre, notre sanctuaire, notre nid d’amour interdit. Même si je brûlais d’envie de le voir, j’étais rongé par les remords. J’avais atrocement peur de sa réaction.
À mesure que je montais les marches, mon cœur s’emballait. Je posai fébrilement ma main sur la poignée de porte et me décidai au bout de quelques minutes à entrer. Je pris soin de refermer délicatement derrière moi, tournant la clé dans la serrure. Je posai mon sac par terre, m’approchant ensuite de notre lit double de fortune, un matelas à même le sol. Je m’accroupis pour le regarder. Kiran se tenait là, assis sur le lit, appuyé contre le mur, les avant-bras posés sur ses genoux relevés. Son regard en disait long et il tremblait presque. Qu’il déchaine sa colère sur moi n’était plus qu’une question de secondes. Fermant les yeux, j’attendais la sentence, fébrile.
Devant lui, je perdais de nouveau tous mes moyens. Moi qui étais si déterminé à lui tenir tête une bonne fois pour toutes, j’avais succombé au charme ravageur de ses yeux gris-bleus. Cette fois-ci, ce n’était plus de la passion que je lisais dans ses deux billes colorées mais bien de la tristesse. Je ne m’étais pas rendu compte à quel point j’avais pu le heurter par mon absence. Même si j’étais parfaitement conscient de tous ces sentiments qu’il éprouvait à mon égard, je pensais que son caractère fort et son moral à toute épreuve l’empêcheraient de se montrer vulnérable. Et jusqu’alors stressé et crispé, mes muscles se relâchèrent complètement, comme pour souligner ma rédemption, mon abandon à ses moindres désirs. Je baissais les armes, je me raccrochais à son amour. Le sentiment de culpabilité s’insinua davantage en moi, des frissons me courbant l’échine tant j’avais honte de moi. Le poids des regrets était trop lourd à porter en cet instant présent. Je voulais ouvrir la bouche, je voulais tout lui avouer, mais je ne m’en sentais pas capable. Ou du moins, je me persuadais de ne pas le faire souffrir davantage. Je savais pourtant qu’il finirait tôt ou tard par l’apprendre de lui-même. Simplement, je ne pensais pas que ce moment arriverait plus vite que prévu.
Accroupi face à lui, les yeux rivés vers le bas, je n’osais plus le regarder. Je sentais son observation, il m’inspectait visuellement, tentant peut-être de deviner où j’avais passé la nuit. Quelle ne fut pas ma surprise lorsqu’il daigna bouger tant bien que mal un muscle pour s’approcher de moi. D’un geste imprévisible et presque impensable dans ce contexte, je me retrouvai subitement étreint par celui que j’avais blessé. La respiration que je retenais s’échappa aussitôt, insufflant de nouveau la vie en notre couple si spécial. Mes timides mains — encore froide de l’exposition au vent anglais — s’aventurèrent avec délicatesse sous son tee-shirt pour venir caresser son dos. Sa peau, si douce et si brûlante, m’avait tant manqué.
Il m’avait tant manqué. Jamais je n’aurai dû faire une telle chose. Jamais je n’aurai dû le trahir comme je l’avais fait. Et même s’il s’évertuait à me faire du mal avec ses incartades charnelles, ce n’était rien comparé à la souffrance que je lui faisais endurer. Lui s’adonnait aux plaisirs de la chair; moi j’accordais de l’importance à l’affection et à la personne en elle-même. J’étais cruel. J’étais un monstre. Et plus je pensais à ce que j’avais fait la nuit dernière, plus mon être tremblait. Chaque infime parcelle de mon corps se mit à trembler. Les larmes me montaient aux yeux, j’avais la gorge nouée et l’estomac retourné. L’étreinte aurait naturellement dû m’apaiser, mais la pression des bras de Kiran autour de moi s’accentuait. Nous nous relevâmes tous deux d’un bond, et je fis instinctivement un pas en arrière. Nos regards se croisèrent une fraction de seconde et je perçus le dégoût dans le sien. Sans crier gare, une gifle monumentale vint presque me déboiter la mâchoire, à tel point que ma tête fit un mouvement de côté. Ma joue se mit à rougir aussitôt, et je gardai quelques instants cette position, les paupières closes. Quelques larmes coulèrent avant que je ne daigne le regarder de nouveau dans les yeux. Son expression n’avait pas changé, ou peut-être pouvais-je percevoir à présent de la colère. Il finit par m’agripper le col, m’entraînant sans ménagement dans le couloir puis dans la salle de bains qu’il ferma à clé. Kiran avait perdu toute part de délicatesse lorsqu’il s’approcha de moi. Inerte, abasourdi et fatigué, je me laissai manipuler selon ses désirs. Les larmes continuaient de ruisseler sur mes joues à mesure qu’il tentait de me déshabiller. Dans la précipitation, il déchira quelque peu mon tee-shirt et m’ouvrit la lèvre en me mettant un coup sûrement involontaire. Je ne cillai pas, je ne voulais plus réagir. Kiran perdit vite patience et m’accula dans la douche. Mon regard se posa sur mon corps et je remarquai que j’étais à demi-nu, le pantalon baissé, avec pour seul autre vêtement mon caleçon. L’eau glaciale déferla sur moi telle des centaines d’aiguilles qui me transperçaient la peau. La différence de température me fit tourner la tête, si bien que j’en perdis presque l’équilibre. Je tâchai de me retenir contre les parois; la vision brouillée et les oreilles bourdonnantes n’arrangeaient rien.
Qui est l’connard qui a laissé son odeur sur toi, hein ?! DIS-MOI ! Je sentis bientôt les efforts acharnés de Kiran pour savonner mon corps. Il n’y avait aucune délicatesse dans ses mouvements si méthodiques. Dans ces moments-là, je le détestais du plus profond de mon âme. Ce psychopathe perdait la boule.
Fous-moi la paix bordel de merde, sanglotai-je avant de me laisser glisser sur le sol.
Laisse-moi tranquille… Ma lèvre meurtrie abandonnait de temps à autre des petites perles rougeâtres colorant quelque peu l’eau qui finissait par s’évacuer. Mes pleurs ne cessaient plus, j’étais pris de spasmes. Je n’avais qu’une envie, c’était de disparaitre, d’échapper à cette situation démente.
C’était le comble tout de même, que Kiran réagisse ainsi au fait que j’aie succombé au plaisir charnel avec un autre, alors que lui s’envoie en l’air tous les quatre matins. Des inconnus en plus. De vulgaires pantins dans lesquels il déversait sa semence avant de les relâcher, non sans indifférence. Je me demandais vraiment si Kiran en avait quelque chose à faire des sentiments, s’il avait encore une part d’humanité en lui. Car oui, au fil des années, à observer la dérive lente de mon frère, j’étais venu à me demander s’il n’était pas devenu totalement taré. Déjà tout petit il prenait un malin plaisir à faire souffrir les autres, ne serait-ce que par pur égoïsme ou par pur arrivisme. Aucun de ses actes n’était dicté par la sincérité. Jamais il ne lui arrivait d’être gentil. Du moins, je ne l’avais jamais vu agir ainsi. Avec moi, c’était certes différent, mais ça n’était pas comme avec une autre personne normalement constituée. Même si à de rares occasions il faisait preuve de tendresse, cette dernière n’en restait pas moins retenue et surtout intimidante. Il avait cette façon de m’enlacer avec vigueur, m’emprisonnant dans ses bras finement sculptés. Je ne me sentais pas aimé dans ces moments-là, je me sentais captif. Captif non pas d’un amour impossible, mais captif d’un égoïsme sans borgne où la possessivité et la jalousie maladive faisaient lois. C’est une différence que j’avais noté lorsque j’ai passé cette nuit avec l’apollon. La tendresse qu’il m’accordait me faisait frissonner de plaisir. Elle emplissait mon cœur d’une joie incommensurable, que je n’avais jamais ressenti jusqu’alors. La relation que j’entretenais actuellement avec Kiran n’arrivait pas à la cheville de ce que je venais de vivre, tout simplement.
L’eau glacée continuait de couler sur ma tête, se déversant sur mon torse nu et sur mon caleçon. Agacé par la position assise et ma tenue, je retirai avec peine mes chaussures et le reste de mon pantalon. J’étais à présent à demi-nu sous le jet. Kiran continuait de me fixer de ses deux billes colorées, son regard noir me faisant fléchir le chef. Je regardai le sol de la douche à mesure qu’il déversait sa colère sur moi, son poing rejoignant bientôt avec force l’une des parois de la douche. J’avais l’impression de me sentir comme un chien qu’on engueulait après une connerie. Mais merde, j’étais un être humain !
Cessez de vous chamailler tous les deux… s’il vous plaît. De derrière la porte verrouillée de la salle de bains, ma mère interrompit mon jumeau dans sa sentence moralisatrice. Je soupirai intérieurement de soulagement.
Oui maman, on s’amuse juste. … jusqu’à ce qu’elle finisse par quitter le couloir, sûrement rassurée par la réponse au ton si faussement calme de Kiran. J’étais à nouveau seul avec ce frère qui se faisait geôlier le temps d’une matinée. Il se laissa glisser à son tour, entrelaçant ses jambes dans les miennes. Lui aussi devenait aussi trempé que moi sous le jet d’eau glacée.
Tu m’étonneras toujours, c’est dingue à quel point tu excelles dans l’art de jouer la comédie… sifflai-je entre mes dents, agacé. Il m’observa une nouvelle fois, silencieusement.
J’ai peur… soufflai-je dans un murmure tremblant.
J’ai peur de ce qu’on puisse oser faire quand on est que tous les deux. Ma voix était parfois saccadée par quelques sanglots. Oh ça oui j’étais effrayé par cette idée. Kiran, quant à lui, jouissait intérieurement. La peur, c’était exactement ce qu’il lui fallait.