T’as dans les mains ce cv un peu merdique qui te permettra peut-être de gagner un peu d’argent. Et tu commences à en avoir besoin de cet argent. Drôlement besoin. Les économies que tes parents avaient mises sur ton compte ont fondu. Vite. Tellement vite. Et puis, tu te reposes trop sur les gens. T’en es conscient. T’as envie de grandir un peu aussi. De te débrouiller. De faire quelque chose par toi même. Alors t’es là. T’as l’air un peu idiot. Un peu mal à l’aise. Mais peu importe.

T’as le regard un peu perdu. Un peu ailleurs. Tu penses à Niel. A Oze et Nova. Et à Dali aussi. Tu penses à toutes ces choses qui foutent un bordel monstre dans ta tête. Tu lui parles plus à Niel depuis votre confrontation au centre commercial. Et ça te fait mal. Mais tu veux pas céder. Comme un p’tit con, tu t’accroches à tes mots. Comme pour ne pas avouer que tu es le plus faible. Que tu as besoin de lui. Tu veux pas ça. Avouer que tu as besoin de lui. C’est peut être ça aussi. Qui te pousse à travailler. Cette peur du besoin de l’autre.

Doucement, tu pousses la porte du bar. D’un des bars de la ville. Tu les as déjà tous fait. C’est le dernier. Et y’a personne à l’intérieur. Pas de client. Rien qu’un homme derrière le bar et une musique un peu triste. Un peu mélancolique. « Hello, welcome. Je te sers quelque chose ? »
T’en as marre. De faire la tournée des bars pour simplement déposer un cv. Tu sais très bien qu’on te prendra pas. Alors tu souris un peu. Il est marrant son accent. Sexy comme on dirait. Sans ouvrir la bouche, tu t’approches de lui. Ton regard s’est perdu un instant dans le sien. D’un geste un peu maladroit, tu poses ta feuille sur le comptoir. Elle n’est pas bien remplie. Un secondaire correcte, un diplôme correct, des études universitaires de droit inachevé. Puis c’est tout. Même pas de petits boulots. Rien. Tu sais même pas pourquoi on devrait te prendre. Tu passes la main dans tes cheveux avant de poser le regard sur ta feuille. « Mmh … J’viens pour déposer un cv. » Tu regardes un peu autour de toi. Tu réfléchis. Et après réflexion, t’en aurais bien besoin de ce verre. « Mais … heu… J’viens de me faire deux heures à me trimbaler un peu partout avec mon cv merdique … alors j’crois que j’en prendrais bien un ouais … » Alors tu t’assoies. Juste en face de lui. Tu le regardes. Il a quelque chose de magnétique ce garçon. Un petit truc qui te force à garder les yeux rivés sur lui. Un truc magique. Un peu effrayant.

Il a l'air perdu. Insolent d'une éclatante jeunesse. Beau comme une sculpture grecque. Il possède la vitalité de l'innocence oubliée. Vyro le regarde, fasciné. Il s'approche, maladroit et hésitant. Pose une feuille de papier sur le comptoir. Vyro baisse les yeux, une seconde. Un CV. L'inconnu parle, de sa voix posée  Il a les yeux clairs, les cheveux un peu en bataille. Il se passe une main dedans, cherchant ses mots. Il est beau. Vyro lui sourit, encourageant. « Mmh … J’viens pour déposer un cv. » Vyro hoche la tête, il a déjà deviné. La feuille parle d'elle-même. Machinalement, Vyro regarde pour savoir à qui il s'adresse. Aristée. Quel prénom étrange. Joli. Presque français. Comme celui d'un auteur ancien, un de ceux qu'il affectionne tout particulièrement et dont les bouquins jonchent le parquet de son appartement. Il reporte son attention sur l'être véritable, l'observant regarder autour de lui. Finalement, il croise de nouveau son regard. « Mais … heu… J’viens de me faire deux heures à me trimbaler un peu partout avec mon cv merdique … alors j’crois que j’en prendrais bien un ouais … » Vyro sourit. L'arrivant s'installe sur un haut tabouret, juste en face de lui. Leurs regards se croisent.

Enthousiaste, Vyro lance « A la bonne heure ! Je te l'offre. » Il s'éloigne et va servir une grosse chope de bière, de la blonde. Douce mais un peu amère, une boisson de qualité. Ici, on ne sert pas de vulgarité de supermarché. C'est un pub à l'ancienne, avec les cuivres et l'odeur du cuir, le bois usé et ciré. Les billards élimés dans le fond, le jukebox crachotant plus loin et des chaises un peu branlantes. Les miroirs tâchés de rouille et bordés d'un liseré doré qui tend à disparaître. Posant la chope sur le comptoir ciré, il la fait glisser jusqu'à l'étranger avant de revenir vers lui. Il porte un torchon sur son épaule, par dessus sa chemise bleue nuit. Avec un sourire, il engage la conversation « Comme ça, tu cherches du boulot ... » Il s'empare du CV, après s'être essuyé les mains sur le morceau d'étoffe. Les expériences sont maigres et il n'est fait mention nulle part d'un petit boulot. « Tu cherches uniquement un job de serveur ou tu postules aussi pour autre chose ? »

Vyro aime bien le jeune Aristée, blond et un peu nonchalant. Il n'a pas besoin de serveur et il sait que le propriétaire du bar non plus. Mais il se souvient de la chance qu'on lui a donné, lorsqu'il a débarqué ici. Il peut donner la même au blond, peut-être. Curieux et intéressé, il demande « Pourquoi devrais-je t'embaucher, selon toi ? » Il manifeste son intérêt, de manière claire. « Tu n'as pas d'expérience, mais il faut bien commencer quelque part. Dis moi pourquoi je devrais te choisir toi et pas un autre, cependant. » Il veut savoir. Comment Artistée se voit. Si il a confiance en lui ou si au contraire il hésite à chaque question posée.

T’es un peu à l’ouest en ce moment. Tu sais plus vraiment quoi faire. T’as peur d’aimer. Et t’as peur de pas être aimé. Et ce paradoxe, il te bouffe. Parce que la Dali, t’as pas envie de la briser. T’as pas envie de lui faire mal. Mais elle te fout la trouille. Avec ses sourires un peu rares mais tellement adorables. Ca te terrifie de réaliser que tu penses des trucs comme ça.
 
A la bonne heure ! Je te l'offre. » Tu souris un peu. Amusé par son enthousiasme un peu étrange. Tu le regardes faire. Prendre le verre. Le remplir. Ca a l’air si simple comme boulot. Et puis, tu n’as peut être jamais bossé en tant que barman, tu as écumé un joli nombre de bars pendant tes études. Ca ne change probablement rien après tout.
Le verre devant toi, tu ne tardes pas à le porter à tes lèvres pour laisse le breuvage te rassasier. « Comme ça, tu cherches du boulot ... Tu cherches uniquement un job de serveur ou tu postules aussi pour autre chose ? » Tu le regardes faire. Observer ton cv. Puis tu hausses un sourcil en entendant sa question ambiguë. T’as cette impression un peu dégueulasse qu’il va te proposer de faire le trottoir ou vendre de la drogue à des gamins. Autre chose … « J’compte pas vendre mon cul ou rendre des collégiens accro à l’herbe si c’est la question … » Tu le regardes un peu bizarrement maintenant. Quelle idée de poser une question comme ça aussi.
 
Tu portes de nouveau ton verre à tes lèvres. Tu sens son regard interloqué sur toi. Et là, tu réalises que t’as encore dit une connerie. Tout le monde n’a pas un cerveau aussi dérangé que le tient. Alors tu grimaces un peu, passant la main dans tes cheveux. D’une voix un peu gênée, tu souffles un joli « Désolé » en français. « J’ai mal compris … Je cherche n’importe quoi à vrai dire … » Tu lui fais un petit sourire. T’as l’air con maintenant. Il te prendra jamais. Pauvre tache va.
 
 « Pourquoi devrais-je t'embaucher, selon toi ? Tu n'as pas d'expérience, mais il faut bien commencer quelque part. Dis moi pourquoi je devrais te choisir toi et pas un autre, cependant. » Et voilà. C’est encore pire maintenant. Tu croyais avoir touché le fond mais nan. « Pourquoi moi … ? » Tu soupires un peu. La question à la con. Tu sais pas quoi dire. Vraiment pas … « J’sais pas. J’ai envie de faire quelque chose. Enfin, genre … faire quelque chose de ma vie. J’suis pas sur que … ça … fin, j’sais bien que c’est pas forcément mieux que les autres. Mais, j’suis déterminé. Je veux pas dépendre des autres. J’ai envie de gagner mon argent. De me débrouiller. J’apprends vite. J’suis pas con. » Tu laisses un petite pause avant de froncer légèrement les sourcils. Finalement, t’ajoutes en parlant un peu vite. « … enfin si, des fois si mais bon. Fin … J’crois que je saurais faire. J’en ai envie.» T’as parlé sans vraiment le regarder. Ca sortait de tes tripes. Un truc pas vraiment réfléchi. Pas vraiment organisé. Surement pas un discours d’un mec embauché. Alors, quand ton regard se pose de nouveau sur l’homme, tu ne peux pas t’empêcher de lâcher un petit rire nerveux. « J’sais pas me vendre hein ? » Tu lui souris. Un petit sourire sincère. Tu te sens un peu mis à nu face à lui. Peut-être parce que tu te sens en situation inférieur. A devoir te vendre comme ça. T’aimes pas ça. T’as jamais aimé ça. Les CV. Les lettres de motivation. Ca n’a jamais été que des mensonges enrobés dans de jolis mots. Alors t’hausses les épaules. « Les lettres de motivations, ça a jamais été mon truc. J’vais pas mentir. J’veux travailler ici parce que je veux gagner mon argent. Que le bar est sympa et que j’y ai passé quelques soirées cools. J’ai pas de mots surfaits à déballer sur mon caractère ou quoi que ce soit. Je … J’ai juste envie de bosser là. S’tout. »