Retour à la case départ. Il est là, il erre dans les rues déjà trop familières. Jasmin, il a besoin de plus de choses qu'une belle ville pour être surpris. En réalité il a besoin d'une seule présence pour le bonheur jaillisse à nouveau, que sa peine soit éradiquée. Ça fait quatre ans maintenant qu'il cherche Jasmin, l'espoir s'affaiblit de jour en jour alors il cherche n'importe quel moyen pour se rapprocher un peu de son but. Sil, c'est son étoile, tout le monde le sait alors chaque nuit il brise l'ennui pour venir en haut de cette falaise. Il aime contempler les étoiles, ça lui rappelle son amour perdu ainsi que ça lui rappelle sa propre mort. Une simple mise en scène où il a enfin décidé de s'envoler, comme l'oiseau qu'il est. Il a seulement fuit au final, pourtant il est vraiment mort. Son sourire se loge toujours sur son visage pâle dès le premier échange de regard avec un inconnu, mais à l'intérieur il ne reste plus que des cendres, des plumes arrachées qui l'empêchent de voler à nouveau. Voilà pourquoi il vient ici Jasmin, pour ne pas sombrer dans une folie morbide, pour se raccrocher à l'espoir qu'un jour peut-être le destin remettra son Sil sur sa route. Ici au moins il est proche de ses souvenirs, les étoiles et les oiseaux sont réunis dans le ciel, ensemble au quotidien pour se faire simplement plus discrets le jour, mais toujours là. Pour l'éternité.

Sil, c'est exactement le genre de personne à continuer de prétendre être une étoile, même quand c'est plus trop le cas. Du tout. Il est étoile filante, étoile qui se casse la gueule, étoile qui souffle ses derniers éclats de lumière. Mais étoile encore, toujours, au cas où il croiserait par là le fantôme de sa fleur, en mal de lui - l'étoile.
Mais bon, on a plutôt tendance à dire de Sil que c'est un oiseau. Pas un oiseau comme l'était sa fleur, un oiseau particulier. Avec des ailes faites de vent, et puis un oiseau qui a le vertige, la peur d'être mordu par les nuages. Un oiseau, mais qui a arrêté de voler.
Un oiseau au milieu des humains.
Bref, étoile déchue, oiseau raté, Sil, il se serre dans sa parka, c'est que c'est dur de réchauffer un cœur de glace et un petit tas d'os. Puis il fait un froid de gueux, là, au bord de la mer, elle danse bien ce soir, elle doit essayer de séduire la lune, avec ses déhanchements et ses gémissements.
Laisse tomber, la lune, elle veille sur Sil et c'est tout, elle s'en fiche de toi et du reste.
Elle fait gaffe à sa petite étoile-oiseau, regardez-le, le Sil, à faire le malin au bord des falaises, au bord de sa vie, à tâter le vide de la pointe du pied, comme si ça allait l'aider, de se jeter dans la mer.
La lune, elle est là pour vérifier qu'il fait pas trop le con, pour souffler un grand coup de poussières galactiques sur lui et le pousser loin du bord. Et ça suffit pour que Sil, il abandonne, pendant deux secondes.  
De toute façon pour Sil, vivre, mourir, même combat. Il vit même plus trop, il a oublié ce que c'était. Parfois aussi, il oublie de pleurer, et d'autres fois, il oublie qu'il pleure, c'est déconcertant. Il oublie. Tout. C'est tout.
Il oublie Jasmin - ses mains en forme de poire, ses lèvres-abricots, ses yeux en amande, son goût de bonheur sucré quand il croquait dans sa peau.
Même de ses souvenirs Jasmin est parti.
Pourtant Sil continue de la chercher, sinon il serait pas à l'endroit où la falaise rencontre la mer, au milieu de la nuit que les étoiles font briller comme un arbre de Noël. Sil il a de l'espoir, c'est con.

C'est con, tu dis ?

Pas si con.
Figure-toi qu'au bord même du vide, là, perpendiculaire au sol, debout sur ses deux pieds comme un vivant, les cheveux balayés par le souffle de la nuit, rimbaldien avec les mains enfoncées dans des poches trouées, la lune qui brille dans son regard, le bruit des vagues qui claquent dans ses tympans, là, comme ça, y a une fleur-oiseau, y a Jasmin.
Sil, humain bancal, il tangue sur ses jambes, il se rattrape à une étoile qui passe par là. Il avance d'un pas, il recule de deux, et puis il a l'impression de tomber.

Humain à l'eau.

Une brise nocturne vient s'écraser sur sa nuque. De toute évidence, ce n'est pas ce soir que l'oiseau retrouvera sont étoile. Elles sont trop nombreuses ce soir, ses yeux se posent tour à tour sur chacune d'elles, à la recherche d'un indice, de la moindre indication pour le retrouver, pour se retrouver soi-même. Il n'est pas si fort que ça Jasmin, son masque de gaieté se fissure un peu plus chaque jour, jusqu'au jour où il explosera en milles éclats. Ses yeux se posent sur les vagues qui se fracassent contre la falaise. C'est malsain de penser à ça, il le sait bien Jasmin. Pourtant il se laisserait bien tenter, après tout personne ne serait choqué puisque tout le monde le croit déjà mort. La mort, ça doit être reposant d'ailleurs. Lui qui n'a aucune croyance se met à espérer qu'il retrouvera Sil un jour. Là-haut, enfin réunis. Sans problèmes, sans trafics ni homophobie. Ça c'est son côté rêveur à Jasmin, il sait bien que c'est impossible. Alors un léger rire nerveux vient briser le silence de cette falaise bien trop solitaire. Jasmin il a toujours eu une ouïe très développée alors il entends bien ces trois pas derrière lui. Il s'apprête à grogner contre cet inconnu qui vient briser son moment d'évasion, mais dès qu'il se retourne il le reconnait sans la moindre difficulté. Juste au moment où il commençait à perdre espoir, voilà que son étoile se présente à lui. Un électrochoc est moins puissant que ça. Jasmin il a l'impression de défaillir, d'exploser pour de bon, partagé entre joie et tristesse, amour et culpabilité. Ses lèvres s’entrouvrent mais se referment aussitôt parce qu'il est incapable de prononcer la moindre phrase correctement Jasmin. Quelques secondes s'écoulent, le temps pour eux de s'observer pour constater que rien n'a changé. Si Jasmin était une personne censée, il s'excuserait avant de le laisser vivre sa vie. Il n'a jamais été raisonnable, surtout en ce qui concerne Sil. Il voit bien qu'elle vacille sous le choc, son étoile. La tristesse le rend beau, comme un dieu. Après tout, les excuses et les longues discussions peuvent attendre un peu. Il s'approche à pas de loup Jasmin, par peur de briser une illusion, ce rêve éveillé. Une fois à quelques maigres centimètres de son but, il marque une nouvelle pause. C'est impossible, tout bonnement impossible. Jasmin il est persuadé qu'il va se réveiller dans quelques instants, dans sa solitude habituelle. Mais son instinct il a toujours été plus fort que tout. Il brise le dernier pas qui les sépare pour se réfugier dans ses bras, eux aussi n'ont pas changés. C'est bel et bien réel. Jasmin il serre son Sil délicatement, comme le plus précieux des trésors. Peu importe sa réaction au final, il est là et il l'a retrouvé. Une timidité subside, celle des retrouvailles, d'une nouvelle rencontre après quatre années éternelles. C'est à peine s'il ose poser ses lèvres contre la peau de son cou divinement sucrée. Ce geste pourtant habituel autrefois arrache des dizaines de frissons à Jasmin. Ses yeux s'embuent doucement, comme ceux d'un oiseau qui s'envole après un trop long moment sans ailes. Ils ont réussis, une étoile et un oiseau enfin réunis par la force du destin. Il ne lui en faut pas plus à Jasmin pour retrouver son sourire étincelant.

Évidemment c'est Jasmin le premier qui active la mécanique de son corps, de son cœur. Parce que c'est lui le premier qui a mêlé leurs lèvres en un baiser quand ils avaient dix ans, le premier à oser murmurer ces deux syllabes emplies d'amour, « je t'aime », le premier à ... le premier à tout, toujours.
Là, c'est les retrouvailles pour deux personnes qui n'ont jamais eu à se séparer, et il est le premier à les lier à nouveau en le faisant prisonnier de ses bras.
L'union de l'oiseau et de l'étoile.
Car quelques étoiles ont quitté le ciel, il fait bon vivre à l'intérieur du cœur de Sil, où elles vont se loger, c'est mieux que de dormir aux côtés de la lune. Et alors Sil, avec les étoiles en lui, il se (re)met à briller, briller des yeux, briller du cœur, briller de partout. Ça y est, il est étoile à nouveau, peut-être seulement poussière d'étoile pour le moment, mais étoile en devenir en tous cas.
Un vent d'étoiles les sépare et une crise de larme se prépare à l'intérieur de Sil, mais sa fleur, il arrive malgré tout à la garder près de lui, main dans la main, bout d'étoile dans aile.
Sa main étoilée, il la pose tout près de la joue de Jasmin, mais pas complètement dessus, juste à côté, main aérienne survolant une joue de fantôme.
Il s'écarte un peu soudain, une seconde, un rien du tout de seconde, et puis il marche complètement sur les centimètres qui les séparent, pour retrouver son oiseau et son goût d'aventure céleste. Et cette fois il caresse complètement la joue de son ami, son aimé, son amant.
Il l'avait oublié, il le réapprend.
L'océan de ses yeux, le toboggan de son nez, les étoiles éparpillées sagement sous ses iris, les crevasses de ses joues, les rougeurs de ses lèvres. Il l'aimait encore, quatre ans d'amour sans retour, et là, il l'aime encore plus.
Oh, leur amour, c'était ...
Comment dire.
À réveiller un volcan, à déclencher une révolution, à faire dégringoler les nuages, sourire la reine d’Angleterre, pleurer la lune. Dans la rue, quand on les croisait, on changeait de trottoir, c'était trop beau, ça faisait peur de les voir s'aimer autant et de se dire qu'on partageait un tel amour avec personne, nous, quelle horreur. Et puis on disait « mais ... mais c'est possible ? pourquoi ? comment ? hein ? »
C'était un amour comme ça.
Ça le redeviendra vite, sinon autant que Jasmin, il parte tout de suite.
Sil, il a le visage salé de larmes et il se rappelle même pas d'avoir commencé à pleurer. Et sur ces larmes, y a le vent, l'air de la mer d'hiver, qui passe, ça fait une vague de glace sur son visage humide-salé.
- C'est la première fois que tu me fais pleurer.
Il dit ça en souriant, il sourit, il sourit plus fort que tout, il sourit de la lune jusqu'au soleil, il sourit parce que sa nuit éternelle va enfin se lever sur un nouveau jour, il sourit parce qu'il a retrouvé comment faire pour faire battre son cœur.

Ces retrouvailles imprévues sont au-delà de ses espérances, c'est beau, c'est fort, comme eux au final. Pourtant Jasmin il ne peut pas s'empêcher d'appréhender l'après, ce moment où le bonheur explosif se tassera un peu pour laisser place aux questions sur sa disparition. Il a simulé sa mort par amour, pour que son étoile trouve une seconde étoile, loin des soucis qu'un simple oiseau peut apporter. Il a tenté de s'en convaincre, pourtant il sait bien qu'il n'aurait pas supporté cette vision, parce que quoi qu'on en dise il aime son Sil d'un amour inconditionnel. C'est plus fort que tout, plus fort qu'un simple coup de foudre, personne d'autre qu'eux ne peut comprendre ce sentiment agréable et destructeur à la fois. Il sent Sil se coller encore un peu plus à lui et ça suffit à sortir Jasmin de ses pensées pour qu'un large sourire niais se colle sur son visage. Il a l'impression que les barrières qu'il a battit autour de son cœur se brisent une à une pour s'abandonner entièrement à l'étoile. Les yeux brillants de Jasmin se lèvent juste une micro-seconde vers le ciel et il a tout de suite l'impression que les astres éclairent de milles feux depuis que la sienne se loge dans ses bras. Si son sourire aurait pu s'agrandir sans briser ses lèvres, il l'aurait fait sans le moindre doute. Cet éclat se reflète sur le visage de Sil, humidifié par quelques larmes. Comme le sien sans aucun doute, mais il refuse d'y penser. Quand Sil est là, il devient la chose la plus importante qu'il soit, alors tout passe après, même les yeux rougis de Jasmin.
- C'est la première fois que tu me fais pleurer.
Dans un élan de tendresse, Jasmin pose à son tour ses doigts sur la joue délicate de Sil, son regard se perd sur son visage harmonieux, parfait et à cet instant plus rien n'existe autour.
- Je te promets que c'est la dernière fois.
Jasmin il aime pas voir son étoile pleurer, c'est triste, encore plus quand ses larmes coulent par sa faute. Jasmin, il pourrait rester la nuit entière et bien plus encore comme ça, mais il veut savoir. Savoir si vraiment rien n'a changé, alors il fait le premier pas. Ses lèvres viennent se poser sans aucune pression ni force sur celles de Sil et là, il a l'impression de revivre son premier baiser, en un peu moins maladroit. Son cœur se serre, puis implose. Ça surprend, ça éclate et puis le temps s'arrête pendant quelques instants, encore bien trop courts. A contre-coeur, Jasmin désolidarise leurs lèvres de quelques centimètres pour murmurer un simple je t'aime qui lui provoque le même effet tant il est fort. En fait si, leur relation a changée pendant ces quatre ans, elle est devenue encore plus belle, comme ce clair de lune qui accompagne tendrement ce moment précieux, comme une étoile.

On lui a rendu Jasmin, c'est comme s'il retrouvait la vue. Il voit tout soudain, parfaitement bien. La neige qui se prosterne à leurs pieds et proteste à chacun de leurs pas. La lune qui leur sourit, les étoiles qui les applaudissent. La mer, sous eux, calme et dansante. Les falaises qui respirent l'air marin. Le phare, là-bas, à la recherche de naufragés, et à ses pieds, le cimetière, rendez-vous des morts. Il se voit même lui-même. Apprenti-étoile. Le visage entier qui sourit et le semblant de vie qui se loge dans ses yeux. Il se voit, avec Jasmin tout contre lui, et il se retrouve lui-même.
Ou peut-être que c'est Jasmin qui est revenu de lui-même, qui a pris le chemin de la mort à l'envers.
- Je te promets que c'est la dernière fois.
Sil, il essuie ses larmes et là il ferme les yeux sur les mille quatre cent soixante jours passés sans son oiseau floral. Comme s'ils se retrouvaient des années plus tôt, quand ils étaient encore des garçons et qu'ils pensaient être les rois du monde.
Il efface, d'un petit coup d'amour, les larmes-rosée de Jasmin, aussi, avant que ça gèle sur ses joues et qu'il tombe malade.  
Et Jasmin, il continue sa manie des premières fois, des premiers pas, voilà qu'il leur offre leur premier baiser depuis quatre ans. Une caresse, ce baiser. Leurs lèvres elles en frissonnent, depuis le temps qu'elles attendaient de ne faire qu'une, comme il se doit. Et Sil, Sil en frissonne pas, au contraire, c'est tout son corps qui explose, à croire qu'il est complètement une étoile maintenant, voire même une aérolithe. Il brûle.
Puis il se retrouve avec du vide au bout des lèvres. Il ouvre les yeux avec le cœur qui galope, déjà, à l'idée que Jasmin soit parti. Ou jamais venu. Mais Jasmin est là regarde, à deux millimètres de toi.
- Je t'aime,
dit-il.
Pour Sil c'est explosion sur explosion. Et il ose à peine aligner ce souffle, de peur de s'enflammer :
- Je t'aime.
Mais il ose bien lui dire en s'installant dans ses yeux. Et il se met à la regarder, sa fleur, elle a bien poussé depuis vingt-quatre ans, dire que c'était qu'une petite violette au départ, que maintenant c'est un gigantesque hortensia. Sil il le regarde, son oiseau, en plein dans le vide de ses pupilles où sont cachés tous ses secrets, et il réalise que depuis qu'il est là, depuis qu'il a décidé de venir sur Terre parce qu'il y serait aux côtés de Sil, parce que ça faisait un bon moment qu'il le traquait pour passer un petit bout de vie avec lui, depuis tout ce temps, avec une petite pause insignifiante, déjà oubliée, il était avec Jasmin.
Sil, il l'a trouvée directement, cette personne. Cette personne qui, quand elle pose tout doucement ses yeux sur toi, comme une plume d'oiseau, te donne le sentiment d'être en train de t'envoler.
Dire que y en a qui cherchent encore.
Et puis il dit à peine dans un chuchotement, pour pas effrayer le silence de la nuit :
- On rentre.
Chez lui. Pas chez eux. Dans son appartement dégueulasse, le premier où il vécut seul. Là-bas ça sent la mort, et puis ça sent Jasmin alors qu'il y a jamais mis un seul pied. Là-bas Sil a jamais fait un seul rêve la nuit, seulement des cauchemars où Jasmin n'était pas là. Il y en a la marque, de ces mauvais songes, partout sur les murs de la chambre.
Une fleur dans un tombeau habitable, ça rendra évidemment les choses plus belles.
Sil, il lui prend la main et ils s'en vont.

Jasmin ne faisait jamais aucun bruit, si ce n'est celui du bonheur, très discret. Et là il revient comme il est parti, en effleurant à peine la neige de ses talons.

La nuit est particulièrement sombre aujourd'hui, pourtant Jasmin il a l'impression que tout vient de s'éclairer, passant de l'obscurité à un éclat profond en l'espace de quelques secondes, juste le temps d'un regard. La noirceur de son cœur s'est dissipé pour se souder une seconde fois à celui de Sil, à jamais. Jasmin il aime dessiner quand il ne peut pas exprimer ses sentiments, mais il serait incapable de mettre une image sur celui qu'il ressent actuellement. Ça ressemble au bonheur en moins puissant. Le bonheur est facile, il en faut parfois peu aux autres pour utiliser ce mot, lui faisant perdre au passage son intensité. La relation de l'oiseau et l'étoile est loin d'être aussi simple que ça, elle est compliquée et c'est ce qui la rend aussi belle.
- Je t'aime.
Jasmin, il a l'impression que son cœur va s'arrêter à un moment ou un autre, il faut dire qu'il est plus vraiment habitué à ressentir de telles choses. Jamais il n'aurait pu se permettre de douter de sa sincérité, ça se voit là, dans les pupilles de Sil encore humides, mais pourtant brillantes. Sil c'est exactement le genre de personne à qui un inconnu pourrait faire confiance les yeux fermés tant il est attachant. Jasmin il l'a su dès le premier regard que c'est lui et personne d'autre, d'ailleurs il a toujours eu cet instinct de protection envers lui. Puis Jasmin il a du mal à dire ses sentiments aussi, il ne dit que rarement je t'aime, son sourire c'est son moyen de communication. Mais là il a seulement envie de lui dire, lui crier s'il faut pour combler ce long moment sans, la frustration de ne pas pouvoir lui envoyer une simple lettre pendant quatre ans. Son étoile il la couve du regard, de peur qu'elle lui échappe une nouvelle fois.
- On rentre.
Il hoche simplement la tête, puis il se met en route. Jasmin il a vécu comme un vagabond, vivant grâce à la générosité des habitants ou parfois même dans la rue alors il est d'autant plus impatient de voir le cocon de son amour. Ils descendent de la falaise, main dans la main, comme un couple qui ne se serait jamais quitté. Jasmin il a toujours ce sourire aux lèvres pendant le chemin, il est heureux et son cœur le fait bien savoir en battant toujours aussi fort dans sa poitrine. Il revit, l'oiseau se replume peu à peu. Quelques pas encore, puis Jasmin franchit l'ultime pas qui le sépare du seuil de la porte. Sans jamais lâcher la main de son étoile, il entre dans l'appartement en prenant soin de regarder chaque recoin de chaque pièce. Malgré le peu de désordre autour, Jasmin il s'y sent immédiatement bien. C'est un lieu qui a du vécu, mais surtout c'est un lieu qui porte l'odeur de Sil, puis des multitudes de choses qui le font penser à lui. A vrai dire il se voit bien s'installer ici, même provisoirement, pour y mettre des bouts de lui, réinstaller un quotidien ensemble, réapprendre à se connaitre dans les moindres détails.
- C'est beau..
Il a soufflé c'est quelques mots dans un murmure, pour ne pas briser l'aura de douceur qui traine autour d'eux. Alors Jasmin il se retourne lentement pour faire face à son étoile, puis il prend son visage entre ses deux mains, toujours avec une certaine tendresse pour lier une seconde fois leurs lèvres et constater que l'intensité ne baisse jamais, d'ailleurs ce n'est pas près d'arriver. Une étoile, c'est éternel.

Ils marchent, comme ils ont marché, comme ils marcheront encore pendant longtemps, sur le même chemin plein de mauvaises étoiles, mais côte à côte maintenant, les mains fermement attachées, ne faisant qu'une seule et même main.
Sil, il habite tout près, sous le phare, effleurant le cimetière, comme si y avait pas déjà assez l'odeur de la mort dans son cœur. Mais Sil, il s'en est toujours fichu des morts à côté de lui, y avait qu'un seul mort qui l'intéressait. Et s'il s'était mis aussi près de ses copains-cadavres, c'était bien pour retrouver le seul mort qui valait le coup. Jasmin, Jasmin qui a re-fleuri.
Et il insistait, l'agent immobilier : « si près du cimetière, monsieur, vous êtes sûr ? » Et Sil, secouait la tête de haut en bas, oui, oui.
Ils sont pas très loin, les morts, prosternés devant la grandeur du phare, et juste en dessous, il y a le nid de l'étoile Sil. Mais Sil, il hésite dans ses pas, est-ce que c'est à droite, est-ce que c'est à gauche, pourtant, falaise-appartement, appartement-falaise, c'est un chemin qu'il ferait les paupières closes, la tête barrée dans les étoiles.
Mais avec Jasmin, il redécouvre tout.
En plus beau.
Et soudain en trois pas ils sont dans le salon de Sil.
Le salon, ses livres naufragés par terre, à demi-lus, noyés dans son chagrin. Ses rideaux clos, cachant la vue de la vie, de la mer tantôt feutrée tantôt braillarde, les oiseaux trimballés par le vent. Son canapé deux places, avec son cuir abîmé du côté droit, son cuir intact à gauche, comme dans l'attente de quelqu'un. Sa poussière sur les meubles, comme sur le cœur de Sil. La rouille qui s'installe partout, à l'image de son propriétaire, Sil, vingt-quatre souffles, grand robot-humain ankylosé, grinçant en marchant.
Pourtant Jasmin dit que c'est beau.
Alors forcément, aux yeux de Sil, le petit salon est sublimé.
Jasmin, il dit « c'est beau », et au baiser qu'il donne gentiment à Sil, tout le monde comprend qu'il y a pas que l'appartement, de beau, mais aussi Sil, ce petit morceau d'étoile tombé du ciel, cet ancien futur oiseau.
Oh, ces deux-là.
Quand ils se sourient, les étoiles tombent du ciel, sur eux. Quand ils s'embrassent, la lune en perd son éclat, parfois elle s'éteint complètement, surtout quand c'est un baiser de retrouvailles. À l'instant, c'est tout Douvres qui se demande où est bien passée la lune.
Imaginez-les, sur leurs canapés : « oh, ça doit être le fantôme. »
Sil, un baiser comme ça, ça lui fait peur, lui, il s'en fiche de la lune. Il se met à respirer aussi fort que la mer, il a les poumons pleins de vagues trop salées, la gorge qui suffoque.
- Ne meurs plus, d'accord ? Attends-moi pour ça.
Dans les yeux de Jasmin, il voit tout ce qu'il a toujours vu, il a du mal à y croire, il se revoit, nabot, en train de réaliser à quel point il aimait sa fleur. Au point de mourir. Si jamais ça existait, ça, MOURIR.
Nouvelle étreinte, nouvelle caresse pour étouffer les idées de la peur, la peur qu'il s'en aille, la peur qu'il soit jamais arrivé, la peur d'être en train d'embrasser un fantôme, la peur d'être mort lui-même et d'être réuni avec lui. La peur qu'il ait jamais été mort et qu'il soit parti parce qu'il voulait plus de lui.
Il se jette sur lui pour le retenir.
Il est un peu trahi par les bruits de son baiser, petits cris désespérés. Qui finissent par s'effacer, au bout d'un moment, évidemment, Sil, il en respire très rapidement, d'avoir arrêté de respirer pour embrasser.
Il sourit, il pleure, il y comprend à peu près rien.
Il se reprend, Sil. Prend à Jasmin ses lèvres, pour ne plus les laisser. Et puis il part explorer ce qui se passe, là, sous le pull de la fleur, l'oiseau, Jasmin. Rencontre au passage un cœur qui cavale, des poumons grisés par des cigarettes de l'adolescence furieuse, mais il voudrait que ce soit ses yeux, qui voient tout ça.
Ils ont oublié avec le temps, avec les quatre ans, avec les larmes amèrement salées.
Il soulève le pull, découvre un nombril, mais il se rappelle qu'il a oublié de demander la permission.
- Je ... je peux ?
Te redécouvrir.

Jasmin il a toujours envie de pleurer tellement il est heureux, parce que son couple est beau, tellement beau qu'il est capable de tenir quatre ans sans défaillir, avec la puissance d'un ouragan qui ne se calme pas.
- Ne meurs plus, d'accord ? Attends-moi pour ça.
Son sourire prend une teinte plus triste, l'espace de quelques secondes. Si un jour il vient à mourir réellement, la pire chose serait que son étoile le suive dans sa tombe. Jasmin, il vit pour le bonheur de Sil, rien n'est plus important que ça. Pourtant il sait également que si l'inverse doit se produire un jour, il serait incapable de survivre, on ne peut pas vivre avec un coeur amputé à vif. Il ne sera plus séparé de Sil à partir d'aujourd'hui, jamais.
- Tant que tu es près de moi, je reste vivant.
Jasmin passe une main dans la chevelure folle de son amour, mais aussi son amant, son meilleur ami, sa bonne étoile. Tout est démesuré entre eux, et il aime ça. D'ailleurs il voit qu'il a peur à la façon dont il se cramponne à lui, juste avant que leurs lèvres s'écrasent, preuves d'un amour débordant qui emballe une nouvelle fois son coeur. Entre deux baisers, Jasmin il murmure un ne t'inquiète plus, puis il se laisse totalement aller. Une de ses mains se faufile sous son haut, dans son dos pour le serrer un peu et le conforter dans l'idée que plus jamais il ne le laissera tomber. Lui-même en est incapable, même si la beauté des retrouvailles est unique. L'air frais sur son ventre arrache un frisson à Jasmin, vite réchauffé par la main de Sil qui se pose dessus.
- Je ... je peux ?
Et là, le visage de Jasmin s'illumine, il en devient presque rieur sous ces paroles. Quand son Sil redevient un bout d'homme un peu fragile, un peu gêné mais amoureux il l'aime encore plus, si on considère que cela est possible.
- Tu n'as pas besoin de me demander la permission, tu sais..
Sans attendre plus longtemps, l'oiseau passe ses mains sur le torse de l'étoile. Il a maigri, lui aussi. D'ordinaire, il aurait tout fait pour le remplumer mais ses pensées ne se tournent pas vers ça en cet instant. Peu importe les changements physiques, Jasmin il l'aimera toujours, quoi qu'il se passe dans leurs vies respectives, peu importe la mort. Au fil de ses caresses, Jasmin a l'impression de redécouvrir un nouveau corps, avec du vécu mais encore plus beau qu'auparavant. Lentement, il lie leurs mains pour l'emmener vers le canapé en cuir, non loin de là. Jasmin, il refuse de se précipiter, il veut refaire sa connaissance dans les moindres détails. Il se place en tailleur sur le côté droit du canapé, puis il tire doucement Sil face à lui pour qu'il fasse de même, tout en restant assez proches pour avoir ses lèvres et son corps à portée de main. Cette fois, les doigts de l'oiseau relèvent délicatement le pull de Sil pour retracer ses traits d'un simple effleurement, le regard perdu dans la contemplation de ce qu'il appelle sa merveille.
- Tu es parfait, petite étoile...
Ses yeux se relèvent, juste pour lui voler un baiser furtif au départ, mais vu que la gourmandise est un vilain défaut, il accentue progressivement sans jamais bouger sa main de place. Tout est en train de revivre en Jasmin, cellule par cellule il revit pour de bon, la tristesse fait place au bonheur, dans les nuages une éclaircie apparait enfin.

Le visage de Jasmin se transforme en étoile, fleurit à nouveau, avec pour spectateurs, les yeux de Sil, toujours là, toujours là pour admirer la fleur et la réchauffer de son regard, Jasmin, il sourit.
- Tu n'as pas besoin de me demander la permission, tu sais...
Sil a un début de rire hésitant.
Et puis Jasmin lui coupe la parole, au rire, en promenant le bout de ses doigts sur la peau de Sil. Il coupe la parole pas seulement au rire, mais aussi à Sil, à la lune qui n'est pas prête de revenir, à la mer qui s'est tue, à tout, tout le monde, même la Terre s'est arrêtée de tourner devant un geste empli d'autant d'émotion.
Et c'est rien qu'une caresse.
Leurs baisers font éclater les planètes les plus proches - adieu, Mars.
L'oiseau, il retourne dans son nid, parfaitement à sa place sur son côté droit du canapé, ça fait qu'une larme s'échappe de l’œil de Sil. Elle court, la larme, sur le bout de son nez, atterrit, salée, sur ses lèvres.
- Tu es parfait, petite étoile...
C’est la poêle qui se moque du chaudron.
Jasmin, c'est le genre de poème devant lequel tu oublies tes vers, ou alors tu t'y emmêles, tu te retrouves à faire des alexandrins ou lieu d'octosyllabes, Jasmin c'est ça.
Jasmin c'est l'incarnation du parfait.
Sil essaie de le lui dire mais comme prévu, il se prend les pattes dans ses mots, commence par le complément d'objet direct et termine par le verbe. Il arrive, quand même, tout doucement, à aligner ces sept mots :
- Dire que tu veux bien de moi ...
Il lui dit avec un sourire bancroche, pas trop sûr de lui, le sourire. Mais les lèvres de Jasmin, elles, ont compris leur tâche. Elles viennent grignoter celles de Sil, puis les croquent franchement et, gourmandes, les mangent entièrement.
Sil, il est consentant. Sil, il emprisonne sa fleur entre ses bras chétifs de tristesse. Comme s'il cherchait à l'ancrer en lui. Il fût un temps où ils n'étaient qu'un. Silmin. C'est loin ce temps-là, il le comprend, Sil, à la difficulté qu'ils ont de s'unir à nouveau.
Il laisse tomber pour cette fois, il réessaiera une autre fois. Pour l'heure, il le déshabille du regard, il le déshabille pour de vrai, lui enlève ses pétales pour le regarder de plus près. Et pour l'accompagner, enlève sa propre peau d'étoile, en forme de pull. Il rattrape sa fleur, la cueille sur le canapé, l'attire contre son cœur.

T'entends, t'entends, comme il bat pour toi.

Là, avec Jasmin, sa rose, son chrysanthème, sa lumière, son petit moineau, avec tout ça, combiné en une seule et même splendide personne, avec tout ça coincé contre son cœur, il se met à sourire, Sil.
C'est un tel évènement, à en faire un jour de bonheur national.
C'est pas un sourire de compétition évidemment, le sourire Colgate qui part de l'oreille droite et se tord jusqu'à la gauche, le sourire de vainqueur. C'est un sourire franchement timide, minuscule mais plein d'étoiles. C'est le sourire de celui qui revient de loin. Pas de la mort, mais presque.
La mort, c'est l'affaire de Jasmin.
Et c'est une autre histoire.
Sil, il admire son ange de fantôme retombé parmi les vivants après s'être majestueusement envolé. Le capharnaüm de ses cheveux, la courbe de son cou, les creux de ses omoplates, le chemin de sa colonne vertébral. Il voudrait que ça lui appartienne, à nouveau, que son nom, ces trois lettres, S, i, l, soient gravées en Jasmin à nouveau. Dans chaque grain de beauté, chaque tâche de rousseur, hématome, cicatrice.
Pourtant, il refroidit un peu sa ferveur, c'est une étoile disciplinée. Un baiser bref sur les lèvres de Jasmin, c'est tout ce qu'il s'autorise pour le moment.
Sûrement que le reste ferait trop mal. Mieux vaut pas commencer par le Grand.
- Si ... si je m'endors, tu-tu seras là à mon réveil ?
Il chuchote. Comme si un rien allait faire disparaître Jasmin.

Jasmin il voit bien cette larme qui coule le long des joues tendres de Sil et c'est sa culpabilité qui en prend un coup. Il n'aime pas voir les gens pleurer en général, mais Sil ça lui est insupportable, surtout quand c'est de sa faute. Il s'est juré de rendre son étoile heureux, il compte bien y parvenir, à ses dépens s'il faut.
- Dire que tu veux bien de moi ...
Jasmin, il écrase les doutes et les inquiétudes de Sil par un baiser empli de tendresse. Dans de telles retrouvailles, la rapidité n'a pas sa place. Ils ont toute une vie devant eux pour apprendre à se retrouver, à s'aimer encore plus fort qu'au premier jour, alors pourquoi se presser. Leurs visages s'éloignent, de quelques centimètres, juste pour qu'un murmure soit soufflé là, contre la peau laiteuse de Sil.
- Je ne veux que toi, personne d'autre... Je n'ai jamais voulu un autre homme, jamais.
A peine sa phrase terminée, la fraicheur de la pièce vient mordre son torse à présent dénudé, tout comme celui de l'étoile face à lui. Bien sûr, Jasmin ne perds pas l'occasion de le reluquer discrètement. Il faut dire que ce n'est pas sa merveille pour rien, même aminci il reste beau à se damner. Ça doit être impossible de se lasser d'un tel corps, il se demande même parfois pourquoi il a cette chance inouïe d'avoir Sil rien que pour lui, toujours là malgré l'absence. C'est beau à en pleurer. Le cœur débordant de joie, Jasmin vient poser son visage contre celui de Sil. Ils battent tout les deux dans un rythme parfait, encore une fois à l'unisson. Les doigts de l'oiseau effleurent la peau de l'étoile pour en retracer les contours, un à un s'il le faut. Pourtant il ne se précipite pas, il ne franchit jamais la limite qu'il s'est lui-même fixé, il a bien le temps pour ça.
- Si ... si je m'endors, tu-tu seras là à mon réveil ?
Les yeux émeraudes de Jasmin se plongent dans ceux, plus sombres de Jasmin. Sans attendre plus longtemps, sa main quitte son torse pour se loger contre sa joue et déposer à son tour un baiser tout aussi bref, mais significatif. Nouveau murmure. Ils sont seuls dans la pièce, mais le silence est comme religieux, bien plus parlant que certaines paroles. Le silence est d'or.
- Je serais toujours là, à ton réveil puis aux autres aussi. Je ne pars plus je te le jure. Maintenant repose toi, mon étoile.
Ce n'est pas un ordre, mais Jasmin il a bien vu que son étoile n'est plus à l'apogée de sa forme. Puis il veut veiller sur lui, toute la nuit s'il le faut, pourvu qu'il aille mieux. Il sait bien que le sommeil le rapproche de la conversation fatidique, ce moment où Sil demandera des explications. Jasmin, il s'en veut tellement que pour une fois il ignore sa réaction future, la peur et la culpabilité peuvent faire faire de grandes choses parfois. En attendant ce moment, il se serre contre Sil, il ferme les yeux sans vraiment dormir, se guidant aux battements du coeur de son étoile pour savoir s'il s’assoupit enfin. Demain sera un nouveau jour, un riche jour.

Moins de six heures plus tard, les yeux de Jasmin s'ouvrent lentement, mais assez pour apercevoir son amour dans un profond sommeil. Il n'y a pas de meilleure solution pour le faire sourire de bon matin. Doucement, il dépose un unique baiser sur le coeur de Sil puis il se lève, se rhabille et pars s'asseoir sur les marches de la maisonette qui reprend peu à peu vie. Le regard perdu dans les falaises blanches, la sentence se rapproche mais quoi qu'il se passe, il est plus que jamais décidé à rester dans la vie de Sil pour de bon.

Une vague d'émotion tremble infiniment dans son ventre, mais Sil, il l'ignore, ça vaut mieux. Il la garde là au fond de lui-même, la laissera exploser plus tard. Avant de se jeter sur Jasmin et de l'engloutir tout entier, il voudrait juste être sûr ...
Qu'il est bien revenu.
- Je serais toujours là, à ton réveil puis aux autres aussi. Je ne pars plus je te le jure. Maintenant repose toi, mon étoile.
Ces cinq derniers mots : une berceuse. Ils prennent Sil par la main et le guident vers le sommeil. À peine ont-ils effleuré sa main, les mots, que Sil commence à entrevoir des bouts de rêves.
Des bouts d'eux.

Car il rêve d'un couple d'enfants.

Eux, donc. Un petit brun, plein d'hématomes à force de se cogner à la vie, tout le temps, un petit brun qui a peur de pleins de choses. Et un autre brun, grand déjà, depuis toujours; celui-là, il a l'océan à la place des yeux, ça fait une magnifique peur à tout le monde, sauf au premier brun, bizarrement, parce que c'est celui des deux qui est le plus peureux.
Lui, dans cet océan-là, il voit l'infini de l'éternité, et non, ça lui fait pas peur, tant que le propriétaire des yeux-océan est là. Tant que Jasmin est là.
À six ans, Jasmin et Sil s'aiment tranquillement, sans se dépêcher, parce qu'ils sont petits. Qu'ils pensent avoir mille ans pour se dire des jolies choses d'amour, pour faire des jolies choses d'amour. Les autres, les grands et les moins grands, ils trouvent ça étrange, deux petits garçons amoureux, qui se tiennent par la main dans la rue, chuchotent dans l'oreille de l'autre, se surveillent mutuellement quand il faut traverser une route. Ils trouvent ça bizarre et beau, ils préfèrent ne pas en parler.
À quatorze ans, Jasmin et Sil s'aiment explosivement, un jour ça les prend, comme ça, au même moment évidemment, ils explosent, voilà. Trop d'amour pour l'autre confiné à l'intérieur de leurs grands corps maladroits, alors pour la première fois ils décident de s'aimer, pour de vrai, plutôt que de se laisser brûler de l'intérieur. Mais cette fois-là, personne est là pour avoir peur de leur amour. Cette fois-là, le moment leur est réservé et personne, jamais personne saura à quel point ils ont pu s'aimer.
Sil se réveille fort, en sursaut, au terrible milieu d'un baiser avec Jasmin, il y a quelques années, en Russie.
Aveugle, étoile amblyope, à mi-chemin entre ce baiser d'autrefois et ce dimanche matin de deux mille treize, il cherche de sa main, Jasmin. Il a froid, il sait que Jasmin est parti, ou alors qu'il est jamais venu. Alors il ouvre complètement ses deux billes noires pour se mettre à pleurer, nerveusement.
Il respire mal quand il dit « Jasmin, Jasmin, Jasmin ».
Mais il n'y a pas de fleur dans la maison, et pas de Jasmin non plus, encore moins. Rien à l'intérieur ne sent aussi bon que lui. Il est parti. Il est jamais venu.
Sur la joue de Sil, il y a une larme, puis une autre qui se mélange à la première, et bientôt, il y a sous chacun de ses yeux une grande mer salée de larmes. Il se noierait bien dedans, mais il lui reste encore quelque chose, derrière la porte d'entrée. Une ombre en forme d'espoir.
En forme de Jasmin.
Jasmin, sur le perron, dans la neige qui a gelé cette nuit. C'est comme une façon de sa part de dire : je suis tombée, je ne repartirai pas. Est-ce que Jasmin aussi, comme la neige, ne repartira pas ?
Sil souffle, la fumée froide l'enveloppe. Il a rien que le pull d'hier soir sur ses épaules, rien sur ses jambes. Mais il s'en fiche d'attraper la mort, il sait de toute façon qu'il peut pas la vaincre, elle a de trop gros biscotos par rapport à lui.
Sur les joues de Sil, les larmes ont gelé, comme la neige.
Tout le monde reste, aujourd'hui. La neige, les larmes, et Jasmin.
- J'ai cru ... qu't'étais parti.
Il s'assoit sur la neige, tout contre Jasmin, et déjà le bas de son corps a arrêté de vivre. Mais on l'a dit, déjà : il s'en fiche.
- Pourquoi ... pourquoi t'es parti ?
Parti, parti, pas parti du canapé pour sortir de la maison. Parti de Russie, parti pour revenir quatre ans après, parti-mort. Mort pour de faux.

Le froid gèle douloureusement le bout des doigts de Jasmin, mais il ne bronche pas. L'hiver c'est tellement beau, l'année se met en pause pendant quelques mois avant de renaitre au printemps, comme une renaissance. C'est un peu ça, Jasmin il a été gelé pendant quatre ans avant de renaitre. Et puis la neige qui s'étale sur les falaises immenses de Douvres, c'est ce qu'il y a de plus beau après l'étoile. Jasmin il n'a jamais eu peur du froid, il ne vaut mieux pas quand on a vécu en Russie pour ensuite passer quatre éternelles années à jouer au vagabond. La température, il n'y prête même plus attention, ses pensées sont bien trop lointaines pour ça. Quatre ans sans cœur, c'est long mais la sensation des battements neufs est plus appréciable que n'importe quoi d'autre. Qu'il est bon de se sentir vivant parfois. Vivant comme ce jour où le père de Jasmin lui a interdit de voir Sil pendant un mois. Il a tenu une seule semaine, Jasmin sans Sil ne respirait plus. Il s'est inventé une grippe pou rester au lit toute la journée, puis il a sauté par la fenêtre pour marcher en pyjama jusqu'à chez son étoile. Même dans le froid, même dans la nuit il l'aurait retrouvé. Ce fut le cas, et la main du père de Jasmin qui s'est écrasée contre sa joue n'est rien comparé au bonheur qu'il a connu pendant ces quelques heures.
- J'ai cru ... qu't'étais parti.
Jasmin sursaute, sorti de ses pensées par la voix la plus douce qu'il existe. Il se retourne, le sourire aux lèvres comme à chacune de ses apparitions. Les jambes de Sil sont dénudées, alors dès l'instant où il se met près de lui Jasmin retire son pull pour le poser sur ses cuisses. C'est son étoile, il ne veut pas qu'il attrape la mort comme il a lui-même attrapé un soir d'été.
- Fais moi confiance, je ne te partirais plus jamais, c'est trop dur..
Jasmin vient appuyer ses paroles d'un simple baiser au coin de celles de Sil. Il se veut rassurant bien sûr, mais il a deviné sans le vouloir la prochaine question à venir, la fameuse.
- Pourquoi ... pourquoi t'es parti ?
Alors voilà, le moment redouté de Jasmin est là, inévitable. Son sourire se mue en un léger soupir. Il n'est pas ennuyé non, il trouve cette question on ne peut plus légitime. C'est les souvenirs qui lui font peur, ses excuses sont valables à ses yeux mais peut-être pas à ceux de tout le monde. Sa main se glisse contre sa nuque, c'est son réflexe de gène depuis toujours. Il n'y a qu'un seul remède à ça, la main d'une étoile. Naturellement, leurs deux mains ne forment plus qu'une et Jasmin se lance enfin, d'une petite voix qu'il tente de contrôler pour ne pas se faire submerger par l'émotion.
- C'est plus compliqué qu'une simple envie de partir... Je n'ai jamais eu envie de te quitter, mais je n'ai pas eu le choix...
Il coupe sa phrase, quelques secondes, le temps de souffler lentement pour évacuer les milliers de remords qui le rongent. Ses yeux s'embuent et si Sil pose des questions il dira que c'est l'air glacial qui provoque cette réaction.
- Il y a eu un.. Des problèmes au boulot, des choses qui allaient me retomber dessus donc t'atteindre de près ou de loin.. J'ai préféré fuir, pour te donner la chance de refaire ta vie, une vie sans ce genre de soucis..
Jasmin il est toujours fort et souriant, pourvu qu'il aide un peu les autres. Mais là, c'est la toute première fois qu'il parle enfin de cette histoire à quelqu'un, surtout que cette fois c'est le principal concerné. Les larmes humidifient ses joues creuses, il tente de les faire devenir discrètes mais il sait que son étoile va finir par les voir. Il voit tout Sil, même ce que Jasmin n'exprime pas, il lit en lui comme dans un livre ouvert et même si au début c'est plutôt déconcertant, au final c'est tout à fait agréable.
- Je suis vraiment désolé Sil et.. Si tu dois m'en vouloir, je comprends..
Bien sûr il comprend, mais ça lui ferait un mal de chien, sans aucun doute. Dans l'attente d'une réponse, Jasmin tourne son visage vers celui de son étoile, sans oser l'embrasser ni séparer leurs mains. Son coeur bat douloureusement à présent, il n'a jamais été doué pour tout ça.

La main-pétale de Jasmin vient caresser durement l'arrière de sa nuque - ça fait un bruit de remords. Les mots se battent, débattent sur ses lèvres. Lesquels dire vraiment, et comment les dire. Et puis il plonge, il les dit.
- C'est plus compliqué qu'une simple envie de partir... Je n'ai jamais eu envie de te quitter, mais je n'ai pas eu le choix...
Et ça suffit pour Sil. Il n'écoutera pas les mots qui suivent, le reste des explications, ces mots-là restent bloqués dans ses tympans et tournent en continu. Je n'ai jamais eu envie de te quitter. Je n'ai jamais eu envie de te quitter. Je n'ai jamais eu envie de te quitter.
Je n'ai jamais eu envie de te quitter.
Il n'entend pas ça :
- Il y a eu un.. Des problèmes au boulot, des choses qui allaient me retomber dessus donc t'atteindre de près ou de loin.. J'ai préféré fuir, pour te donner la chance de refaire ta vie, une vie sans ce genre de soucis..
Il n'écoute pas, mais il surprend, sur les crevasses des joues de Jasmin, des larmes. Il suffoque, il se dépêche de les effacer, laisse le bout de ses doigts les absorber.
Lui-même assez ému, les yeux au bord des larmes, ou l'inverse, ou les deux.
- Je suis vraiment désolé Sil et.. Si tu dois m'en vouloir, je comprends..
M'en vouloir.
M'en vouloir.
M'en vouloir.
Sil n'assimile pas ces mots-là, pas avec Jasmin. Lui en vouloir de quoi ? D'être le soleil de ses nuits, son printemps au mois de décembre, sa flamme dans l'obscurité ? Il entoure le visage de Jasmin de ses mains, comme deux pétales enfermant le cœur magnifique d'une fleur.
Il sourit, il lui sourit, un sourire qui boite.
À l'intérieur de son corps, son cœur de clown triste et amoureux, les nœuds se défont, un à un, doucement. Ça chatouille, ça caresse, ça fait pas de mal. Elle respire mieux, l'étoile, soudain. C'est vrai que c'est plus commode d'avoir les poumons dégagés pour y faire entrer l'air. Sans les nœuds, l'oxygène passe mieux.
- Tu peux reprendre ton pull, j'ai pas froid ... J'ai plus froid. J'ai eu froid pendant quatre ans tu sais. Même l'été. J'allais voir mon médecin, je lui disais, docteur, je comprends pas, je suis toujours malade. Il m'a dit que c'était l'amour et il m'a donné des vitamines. Mais ça va maintenant. Maintenant t'es là.
Toujours ce sourire religieux, ce regard de mec qui croit en Jasmin Dahl.
Il pose gentiment ses mains sur ses genoux bleutés, accordés à la couleur du ciel de dimanche matin - bleu éclatant, sûr de lui, lisse, sans égratignures de nuages. Et le soleil brille haut et fort, mais Sil s'en fout, pour lui, le soleil est là, tout près, tout contre lui, les fesses dans la neige.
- Mais ...
Il trébuche dans les mots, il voudrait lui dire des choses qu'il ne sera peut-être pas capable d'assumer. Trop maigre, trop peureux, trop timide.
- J'aurais voulu que tu m'en parles, des problèmes. Je suis pas taillé en V, j'sais bien ... Pas vraiment costaud ... Mais j'aurais pu t'aider ! Ou essayer. Et partir avec toi. Je sais très bien me cacher, moi. Toi, t'es plus voyant, t'as du avoir du mal à pas te faire repérer tellement t'es ... beau, lumière ambulante.
Son cœur sursaute, plus tout à fait habitué à être l'heureux unique propriétaire de ce beau soleil sur pattes.
- Tu me diras, maintenant, tes problèmes, d'accord ? Je m'en occuperai. Avec toi.
Il s'approche de sa fleur, n'ose pas un baiser, mais effleure sa joue de ses lèvres, et y glisse un chuchotement : un « je t'aime » presque silencieux, comme s'il redoutait qu'il soit entendu de quelqu'un d'autre. Qui ne le mériterait pas. Qui ne comprendrait pas ce que ça veut vraiment dire, pour Sil, d'aimer Jasmin.

Peut-être qu'au fond Jasmin n'est qu'un oisillon tout juste sorti du nid, peut-être qu'au fond tout le monde le croit fort alors que lui aussi, il pleure le soir quand il est seul. Seul, comme ces quatre années de rien, plus destructrices qu'autre chose. Pourtant Jasmin il a un sourire à s'en déchirer les commissures quand Sil prend son visage entre ses mains. Il n'a pas hurlé, il est toujours là lui aussi et il comprends à ce moment que son étoile sera toujours là, peu importe les obstacles que la vie leur met entre les jambes. Même la lune n'est pas aussi forte que cet amour là.
- Tu peux reprendre ton pull, j'ai pas froid ... J'ai plus froid. J'ai eu froid pendant quatre ans tu sais. Même l'été. J'allais voir mon médecin, je lui disais, docteur, je comprends pas, je suis toujours malade. Il m'a dit que c'était l'amour et il m'a donné des vitamines. Mais ça va maintenant. Maintenant t'es là.
Alors lui aussi, il a vécu ça. Le manque constant, l'impression de ne jamais être à sa place dans n'importe quel lieu, le froid qui colle à la peau. Aujourd'hui tout est différent, les muscles ankylosés de Jasmin se remettent à fonctionner, un à un. C'est un peu douloureux, comme des courbatures du temps, mais il n'y a rien de plus agréable en cet instant.
- Alors je veillerais personnellement à ce que tu n'ai plus jamais froid de ta vie, tu seras mon moteur et je serais le tien.
Jasmin il utilise souvent cette comparaison avec un moteur, ça remet tout en route, ça permet de réchauffer aussi. C'est en partie pour ça qu'il aime profondément son métier, il répare les moteurs pour les faire repartir et apporter un peu de bonheur au propriétaire.
- Mais ...
Il ne quitte pas les yeux de son étoile, il attends patiemment la suite. Après tout, ils ont tout le temps devant eux maintenant.
- J'aurais voulu que tu m'en parles, des problèmes. Je suis pas taillé en V, j'sais bien ... Pas vraiment costaud ... Mais j'aurais pu t'aider ! Ou essayer. Et partir avec toi. Je sais très bien me cacher, moi. Toi, t'es plus voyant, t'as du avoir du mal à pas te faire repérer tellement t'es ... beau, lumière ambulante.
Jasmin secoue légèrement la tête en attendant ces quelques paroles. Partir avec lui.. Il y a pensé, mais il avait peur pour le bonheur de son étoile. Il était sûr qu'en le laissant là-bas, il allait être assez fort pour revivre, ou survivre. C'était le plus important.
- Tu aurais pu te cacher oui, mais tu avais aussi tes repères dans cette ville.. Tu aurais pu refaire ta vie avec quelqu'un d'autre, un homme plus fort, plus stable, qui t'aimerais tout autant que moi je t'aime.
Sil, tout le monde l'aime de toutes façons. Son sourire d'ange est capable de briser la plus dure des carapaces, puis tout le monde le pense fragile alors les autres veulent le protéger. Jasmin lui, il est persuadé que cette fragilité n'est qu'apparence, Sil est bien plus fort que lui en réalité. Assez fort pour tenir quatre ans et pardonner sans broncher.
- Tu me diras, maintenant, tes problèmes, d'accord ? Je m'en occuperai. Avec toi.
Une personne un minimum censée ne pourrait pas y croire une seconde, tout le monde nous abandonne un jour. Jasmin lui, n'a aucun doute sur sa sincérité, il a une confiance aveugle et presque dangereuse en Sil. Après tout, l'abandon a déjà été fait.
- D'accord, je vais essayer. Après tout, il n'y a plus de raisons pour qu'un problème survienne non ? Maintenant que tu es là.
Tout le monde le sait, les étoiles sont quoi qu'il arrive bien plus hautes dans le ciel que les oiseaux. Elles peuvent éclairer un soir, se cacher le lendemain en manipulant les oiseaux à leur guise. Si Sil le voulait, il ferait ce qu'il veut du pauvre Jasmin, totalement épris de son astre. A son tour il dépose un baiser timide sur les lèvres du jeune, puis il repense à leur discussion alors il sépare leur visage pour murmurer.
- Tu.. Tu as connu quelqu'un d'autre pendant ces quatre ans ?
Il est bien curieux Jasmin, parce qu'il s'attend à une réponse positive et il ne pourra pas lui en vouloir. On ne peut pas vivre dans l'ombre d'un mort pendant autant de temps.

Il a les traits qui ont changé, Jasmin, un air endommagé sur le visage, celui de quelqu'un qui passe quatre ans sans être aimé, après avoir été adoré pendant une vingtaine d'années.
Alors Sil, par son regard, lui envoie l'équivalent de quatre ans d'amour pour rattraper le temps perdu.
- D'accord, je vais essayer. Après tout, il n'y a plus de raisons pour qu'un problème survienne non ? Maintenant que tu es là.
Et les sourires, allez. Puis il tend les lèvres, Jasmin, après ces mots de promesses, il propose à Sil un baiser qu'il accepter volontiers, ses lèvres disent oui, oui, oui.
S'il te plaît.
Et il lui plaît, mais pendant quelques secondes seulement, à peine, maigre consolation pour Sil, qui, après quatre ans, et une nuit cœur contre cœur avec sa fleur, est près, maintenant. Pour les grands baisers, les caresses, les grands mots, les cabrioles, les grandes histoires.
Le processus d'amour doit être plus long à se remettre en marche chez la fleur que chez l'étoile.
Normal : les étoiles c'est un trop-plein de passion. Les fleurs prennent leurs temps - quand elles s'éveillent, quand elles fleurissent, elles y mettent toutes leurs forces, ça leur prend des minutes et des minutes, pour se faire belles. Les étoiles explosent, sans chercher à ajuster leur éclat, elles brillent, directement, c'est tout, elles aiment, brusquement, et re-aiment, sans se poser une seule question. Elles courent pour aimer, elles ont pas le temps pour les questions.
- Tu.. Tu as connu quelqu'un d'autre pendant ces quatre ans ?
Mais c'est ça qui la dérange la fleur, savoir qui a traîné sur les lèvres de Sil, son oiseau. Savoir qui a parcouru les marques que Jasmin a pris soin d'y laisser, pendant vingt ans, afin de les faire complètement siennes. Ses lèvres, son Sil.
C'est juste ça qui l'empêche de l'embrasser convenablement.
Sil en laisse tomber son sourire.
Il imagine la chose : un visage inconnu, masculin, viril, s'approchant du sien pour dévorer ses lèvres. Ça le ferait vomir. Il recommence à avoir froid, là, dans son petit lui, le feu dans son ventre s'est éteint, la fête est finie dans les terres siliennes.
Ses yeux vont à la rencontre de la neige à leurs pieds, avec l'hiver qui lui mord les joues, la peau sur ses os.
Il cherche ses mots.
Ils sont durs à trouver.
- Non, Jasmin, personne. Tu sais que je suis devenu un fantôme ? Un vrai de vrai, moi j'ai pas fait semblant de mourir, ça m'est vraiment arrivé, la mort, le froid dans le cœur. Et j'étais toujours là pourtant. Non, j'ai rencontré personne. J'étais trop occupé à essayer de survivre à ton départ.
Une larme vient lui réchauffer la joue, une deuxième, puis toute une compagnie de larmes qui glissent sur ses joues; elles font naufrage dans son cou et y deviennent de la glace.
- Tu vois, tu me fais encore pleurer, t'as pas tenu ta promesse. Celle de rester, tu vas la briser, aussi ?
Il lui lance un regard étoilé qui veut dire, tais-toi, ne me réponds même pas. Ça ne m'intéresse pas tes questions sur ma vie sans toi, t'as pas encore compris que sans toi, c'était plus la vie, justement ? Qu'il suffisait que tu sortes de mon champs de vision pour que je devienne tout froid, comme un cadavre entre ses quatre planches de bois.
T'as pas compris ?
- Put ... Mais ... Je te l'ai pas dit assez de fois que je t'aimais ? Que t'étais le carburant de mon cœur ? Fallait écouter Jasmin, parce que là je te le redirais pas. T'as dit juste ce qu'il fallait pas dire.
Il laisse passer un ange, puis un autre, jusqu'à ce qu'il pardonne le seul ange important, le plus grand, le plus beau, celui assis à ses côtés. Pardonné, déjà. Il sourit, lui effleure la joue, ses ardeurs redémarrent, le feu se rallume en lui.
- Il va falloir que tu me répares maintenant que t'es là. Je me suis un peu cabossé, c'est tout ce que j'ai fait pendant quatre ans. Tu vas devoir remettre les pièces au bon endroit, tu sais comme tu fais avec tes voitures ... Parce que je crois bien que on cœur est barré au fond de mon estomac ...
Sourire humide, plein de larmes.
- On a le temps, ça va. Moi je partirai pas. Je suis pas programmé pour aimer quelqu'un d'autre que toi. J'y arriverai pas.

Jasmin, il remarque immédiatement qu'il a posé la mauvaise question, le sujet à éviter. Il ne regrette pas plus que ça de l'avoir posée pourtant, le mélange de la curiosité et de la jalousie est parfois plus fort que le silence. Au moins tout sera clair pour repartir sur des bases meilleures.
- Non, Jasmin, personne. Tu sais que je suis devenu un fantôme ? Un vrai de vrai, moi j'ai pas fait semblant de mourir, ça m'est vraiment arrivé, la mort, le froid dans le cœur. Et j'étais toujours là pourtant. Non, j'ai rencontré personne. J'étais trop occupé à essayer de survivre à ton départ.
Une claque, voilà ce qu'il se reçoit Jasmin. Moi j'ai pas fait semblant de mourir. Cette phrase se répète sans cesse dans son esprit, toujours aussi douloureuse à chaque passage. Il en reste bouche bée, d'ailleurs il n'a pas le temps de répondre puisque Sil enchaine.
- Tu vois, tu me fais encore pleurer, t'as pas tenu ta promesse. Celle de rester, tu vas la briser, aussi ?
Les sentiments sont décuplés lors de telles retrouvailles, alors Jasmin ne peut pas s'empêcher de prendre la mouche en écoutant cette dernière réflexion.
- Put ... Mais ... Je te l'ai pas dit assez de fois que je t'aimais ? Que t'étais le carburant de mon cœur ? Fallait écouter Jasmin, parce que là je te le redirais pas. T'as dit juste ce qu'il fallait pas dire.
Malgré le regard de Sil qui a terminé ses reproches, Jasmin prend la parole d'une voix inhabituellement tendue, qui ne fait que couvrir la vexation qu'il ressent.
- Parce que tu penses que ça a été simple pour moi ? D'errer pendant quatre ans sans savoir où aller, comme un robot qui ne ressent rien ? C'était dur aussi, j'ai cru mourir un peu plus à chaque instant..
Il souffle, lentement, comme pour évacuer toute cette accumulation d'angoisse qui se forme dans son estomac.
- Tu vois, tu me reproches de te faire répéter que tu m'aimes mais l'inverse est aussi vrai.. Je te le redit, mais je ne partirais plus. J'ai mit des années à te retrouver, ce n'est pas pour repartir aussitôt arrivé..
Jasmin laisse un doux sourire s'étirer au coin de ses lèvres, encore une fois il ne peut pas lui en vouloir. Il a été lui-même maladroit puis ce n'est pas forcement simple de cohabiter après autant de temps à vivre sans coeur, pour l'oiseau comme pour l'étoile.
- Il va falloir que tu me répares maintenant que t'es là. Je me suis un peu cabossé, c'est tout ce que j'ai fait pendant quatre ans. Tu vas devoir remettre les pièces au bon endroit, tu sais comme tu fais avec tes voitures ... Parce que je crois bien que on cœur est barré au fond de mon estomac ...
Et voilà que les yeux de Jasmin piquent à nouveau, la faute à la neige sans aucun doute. La culpabilité revient à la charge, il a promit de ne plus jamais faire pleurer son amour et voilà que cette parole est brisée.
- On a le temps, ça va. Moi je partirai pas. Je suis pas programmé pour aimer quelqu'un d'autre que toi. J'y arriverai pas.
A ce moment là, Jasmin fait ce qu'il sait encore faire de mieux, les gestes à la place de la parole. Ses mains pourtant gelées englobent le visage étincelant de Sil. Jasmin sèche les larmes avec ses pouces au fur et à mesure où elles arrivent.
- Je t'aime Sil, ne te prends plus la tête avec le reste, d'accord ?
Enfin il se détend pour offrir un vrai baise de retrouvailles à sa précieuse étoile. Sans plus attendre, son ventre s'enflamme, un long frisson vient parcourir son échine et son sourire se fait plus vrai, plus amoureux que jamais. Ce n'est sûrement pas la dernière engueulade, mais aux yeux de Jasmin le principal reste de loin les retrouvailles remplies de sincérité.

Une réponse qui arrive rapidement, comme évidente, alors que la fleur essuie les larmes dorées de son étoile.
- Je t'aime Sil, ne te prends plus la tête avec le reste, d'accord ?
Ses pétales de lèvres, mais roses comme des bonbons, s'approchent tendrement de celles, gercées, salées, fatiguées, de Sil. Et lui offrent ce qu'il y a de plus beau sur terre quand on s'appelle Sil Wazo et qu'on est amoureux : un baiser. Un baiser, une caresse à peine audacieuse, légère comme l'écume d'une vague ou le frôlement du vent.
Et avec ce baiser Sil oublie.
Ses jambes qui ne marchaient plus vraiment droit, son corps déstabilisé de ne plus avoir celui de Jasmin à ses côtés. Son cœur qui, parfois, oubliait de battre, se battre pendant deux secondes, ne trouvant tout simplement plus le mode d'emploi et oubliait, c'est tout. On l'entendait, tout le monde l'entendait, à l'aide, je ne sais plus fonctionner. Tout le monde l'entendait, sauf Sil, il l'a laissé pourrir dans sa poitrine.
Ses yeux qui pleuraient sans s'en apercevoir, Sil qui pleurait sans s'en apercevoir. Les nuits blanches, les nuits noires, les nuits de toutes les couleurs. Les petits-déjeuners solitaires, et puis, plus de petits-déjeuners tout court. Tout ce qui était trop dur à faire seul, il a arrêté de le faire. Aussi simplement qu'on dit bonjour.
Il a arrêté de vivre, alors.
Il savait plus faire, comme cette histoire de cœur qui oubliait comment on fait pour battre.
Et avec ce baiser Sil se réveille.
Pas comme d'une bonne nuit de sommeil. Plutôt comme d'un long cauchemar. D'une suite de mauvais songes, se succédant malgré les cris, les pleurs, les halètements du principal protagoniste qui n'en peut plus, qui murmure, arrêtez, laissez-moi maintenant, J'AI COMPRIS, allez hanter ailleurs voir si j'y suis.
Oui, Sil, il ouvre grand ses yeux, offre leur gris argenté magnifique à n'importe qui qui passerait par là, mais surtout, surtout à Jasmin. Le seul à être capable de pouvoir le ramener du bon côté, du côté de la vie, avec le soleil qui brille et les nuages qui chantent et tout ça.
Il y a la lune comme une lamelle d'oignon au-dessus d'eux, translucide, en train de disparaître du ciel bleu-rose pour laisser le soleil les faire briller un peu, comme les deux parfaites étoiles qu'ils sont, tous les deux. Et entre eux il n'y a plus rien, plus de barrière, plus de mort, rien qu'eux et leurs cendres d'étoiles dans les yeux. Des morceaux d'amour, ces poussières.
Un murmure. Celui-là :
- On rentre. Tu vas attraper la mort. Ou plutôt c'est la mort qui va t'attraper ...
L'inverse, Jasmin a déjà essayé, il s'est raté, il a fait chemin inverse, il a couru droit sur Sil. Il devait avoir atteint son temps maximal, comme une bombe. S'il ne revenait pas, il allait exploser, peut-être.
Sil, il a explosé au bout d'une seconde.
On a dit : Jasmin est mort.
BOUM.
Explosé.

BOUM.
Explosée, l'ampoule de la lampe. Encore une qui a dû flipper devant Sil et sa fleur dans ses bras, et puis leur amour partagé en bandoulière.
Sil rit dans le creux du cou de Jasmin. Il s'en fiche du noir autour d'eux. Lui, il voit que de la lumière. Et un long chemin devant eux, sans cailloux, bien droit. Sans embûches.
Et puis dans le noir Sil, il ose plus facilement séparer Jasmin de son pull. Il préfère ça, le noir, plutôt que Jasmin voie l'expression de peur qui danse sur son visage quand il laisse tomber, à leurs pieds, son pull, à son tour. Quand ils se retrouvent à nouveau nus l'un devant l'autre. Quand Sil vient lui manger la bouche, ces deux pétales de rose.

Le ciel peut bien brûler cette nuit, la mer se déchainer ou les maisons s’effondrer, Jasmin ne voit plus rien de tout ça. Lui qui passe sa vie à s'occuper des autres plutôt qu'à lui-même oublie tout, aveuglé et sourd par ce trop plein d'amour qui le ronge parfois. Ça fait peur d'aimer autant, peur aux autres qui changent de trottoirs en voyant leur couple heureux, leur renvoyant leur malheur au visage. Jasmin il se fait aussi peur à aimer autant, il ne se remettrait certainement pas d'une blessure causée par amour ou de la perte de son Sil. Il a tenu quatre ans à être essoufflé en permanence avec la carrure d'un zombie, il est à présent hors de question de recommencer cette survie. Justement, un murmure le ramène à une sorte de réalité, mais pas trop du rêve quand même.
- On rentre. Tu vas attraper la mort. Ou plutôt c'est la mort qui va t'attraper ...
Ah la mort, elle a déjà attrapée Jasmin, pourtant elle lui fait toujours autant peur. Alors il se lève et il suit son étoile, comme un naufragé perdu qui suis le seul astre capable de le sauver d'une nuit interminable. L'ampoule du salon explose, comme le cœur de Jasmin et Sil à l'unissons. L'obscurité rend les barrières invisibles, la timidité par se cacher en attendant le lever du jour et les corps se resserrent. Comme les leurs en ce moment précis, leurs deux corps une nouvelle fois nus et au chaud se serrent, se caressent sans jamais briser la limite imposée, pour le moment. Le baiser qui suit se fait un peu plus décidé, encore une fois le noir aide bien. Elles courent les mains de Jasmin, elle redécouvrent peu à peu le corps de Sil comme si elles ne l'avaient jamais quittés. Sa maudite sensibilité serait prête à le faire pleurer une nouvelle fois, mais de bonheur plus que de tristesse. Il se laisse aller à ses sentiments Jasmin, c'est la première fois depuis longtemps. A contre-coeur il quitte les douces lèvres de son étoile pour déposer les siennes sur son cou et ses épaules de nombreuses fois. Le goût sucré de sa peau, il a failli l'oublier mais à présent tous les souvenirs lui reviennent. Il souffle un je t'aime puis relie leurs lèvres encore une fois, comme s'il était incapable de s'en séparer trop longtemps maintenant. C'est au tour de ses mains d'agir à présent, elles explorent son torse fin avant de descendre légèrement sur son ventre puis de remonter rapidement vers ses épaules. Jasmin refuse de se précipiter, il veut juger et analyser les moindres réactions de son étoile renaissante avant toute chose.

Ce baiser, ces peaux mélangées, c'est comme casser la gueule aux quatre années précédentes, les oublier, les réduire en miettes. Évidemment, les miettes seront toujours là, poussières amères qui traîneront dans leurs coeurs, mais de la poussière, y en a partout, et à moins d'y être allergique, il suffit juste de l'ignorer pour que les choses soient belles.
Jasmin et Sil, fondu l'un dans l'autre, ignorent volontiers la poussière du passé, la laissent là où elle est : dans les coins.
L'écrasent sous un baiser qui dit mille choses, et qui se fait extrêmement silencieux, par respect pour le retour de leur amour.
Jasmin, de ses lèvres sur celles de Sil, se grave dans le corps de Sil.
Laisse sa trace partout : dans les abîmes de son cou, là où il fait chaud, sur le bord de sa clavicule droite, et surtout, en plein dans son cœur.
Soupire sept lettres amoureuses, « je t'aime », qui, dehors, auraient été emportées par le vent mais qui, là, dans cet ancien temple du désespoir, stagnent dans le silence et se logent doucement sous la peau de Sil, pour y rester.
Je t'aime.
Moi aussi je t'aime.
Il ne le dit pas, Sil, il a plutôt envie de le lui montrer. Il pourrait l'emmener au bout du monde, là où ça tangue car il n'y a plus rien. Il pourrait mourir avec lui, si l'envie lui reprenait, il pourrait tuer quelqu'un qui n'a rien fait, il pourrait faire les pires des choses, les meilleures des choses, il pourrait tout faire plutôt que de dire ces deux mots-là : je t'aime.
Il choisit un acte doux, facile, il choisit l'amour. Il s'élance, s'échoue, contre Jasmin, non mais regardez comme leurs corps coïncident. Deux pièces de puzzle. Deux corps taillés sur mesure, pour l'autre, Sil pour Jasmin, Jasmin pour Sil. Là où Sil est plus maigre, Jasmin comble le vide. il est là pour remplir les espaces sous ses pommettes, les crevasses dans son cœur aussi.
Ils valsent plus loin, murés l'un dans l'autre, vers la chambre, vers le lit, vers le spectateur des cauchemars d'autrefois, des cris malheureux de Sil, le lit, qui sourit de voir que Sil a retrouvé ce qu'il poursuivait dans ses bons-mauvais songes.
Au milieu du lit défait, Sil, il s'arrête deux minutes, efface du front de Jasmin une mèche qui y a fait naufrage, laisse tomber une larme. Projetée dans le vide, elle se suicide sur la joue de Jasmin, qui sourit. Et Sil, qui sourit.

Le reste leur appartient.


FINI