Mamie disait toujours que ce n'étaient pas les hivers qui étaient trop longs mais nos coeurs qui étaient trop froids. Puis il y a eu la canicule.

Il a fermé les yeux, Sil. Pour mieux profiter, on se dit, à sa vue, mais non. Il joue. Laisse le dos de sa main voyager sur le corps habillé de Jasmin. Sur le denim de son jean, plaqué sur son genou. La laine de son pull, enlaçant son torse. il anticipe Jasmin de ses doigts, devine ce qui va suivre, prévient sa main du prochain muscle qu'elle rencontrera.
Sourit. Maître, parfait habitué du corps de Jasmin, comme si c'était lui qui l'avait fabriqué, avec ses outils d'amoureux et ses fantasmes de petit et de grand garçon.
Ses yeux fermés, aveugles, lui sont inutiles pour aller, maintenant, embrasser les lèvres-pétales de sa fleur, son essence, son Jasmin avec ses étoiles de rousseur étalées sous les prunelles, rougissantes de bonheur devant l'amour que Sil leur balance dessus, à sa façon un peu émouvante.
Le baiser n'est pas comme les autres, ça n'existe pas pour eux, « les autres baisers », chaque baiser change du précédent, ne prépare pas au prochain. Question de langue, question de sentiments envoyés.
Un, deux.
Il revient des lèvres de Jasmin pour respirer, un peu.
Soupire. D'abord de bonheur, puis d'autre chose.
- Le papier peint ne me plaît plus.
Cette tapisserie de leur chambre russe. Un blanc du genre écume de mer normande. Pour leur rappeler d'où ils viennent. Eux les enfants des vagues.
Il s'échappe du lit, tire sur un bout de papier, mal collé. Il cède sous le geste d'arrachement de Sil, qui, avec le sourire, dépèce le mur par petits endroits.

mon cœur se remplit comme un ballon, prêt à exploser  et là,
je comprends qu’il faut que je lâche prise, que j’arrête
d’essayer sans cesse de m’y raccrocher.

Le cœur de Jasmin bat la chamade, d'abord de bonheur puisque rien n'est aussi plaisant que la peau de son étoile contre la sienne. Puis ensuite vient l'angoisse, oppressante, suffocante. L'oiseau doit s'envoler, c'est un fait. Ça n’empêche pas les centaines de questions qui nagent dans sa tête de l'étouffer douloureusement. Lui dire ou non, partir avec lui, rester malgré les problèmes. Ce qui est certain c'est que Jasmin n'est pas bon menteur, alors il ne pourra pas tenir bien longtemps dans cet état sans rien dire à Sil. Le protéger avant tout, c'est ce qu'il souhaite, c'est pour ça qu'il compte fuir. Les lèvres de son amour se posent sur les siennes, le tirant de ses quelques pensées morbides.
- Le papier peint ne me plaît plus.
Tiens, le papier peint. A vrai dire Jasmin lui a rarement prêté attention, seulement pendant ses nuits solitaires où son attention était fixée sur ce mur bien trop triste à son goût. Il l'observe quelques instants avec un fin sourire aux lèvres -triste, mais ça il ne le dira pas.- puis il se lève à son tour, seulement pour déposer un baiser sur l'épaule de son Sil. Le moment serait parfait pour lui parler, mais il soupire seulement et l'aide à déchirer le papier, c'est comme déchirer sa vie qui va bientôt prendre un nouveau tournant. Enfin, il sort de son mutisme pour murmurer quelques mots.
- Tu veux quelle couleur pour après ? Je pense à un truc vif, plein de vie...
Un papier plein de vie pour remplacer sa future mort.

Jeudi
Le bruit est aussi satisfaisant que celui de Jasmin qui s'endort. Jasmin qui s'éveille. Jasmin qui l'embrasse. Jasmin qui vit. Un beau bruit, pur, un bruit évident. Ce cri de papier qui se déchire, qui se laisse faire sous les doigts décidés de Sil, de l'étoile volante, c'est beau comme des lèvres - les pétales de Jasmin - sur une épaule - celle de Sil, sèche.
- Tu veux quelle couleur pour après ? Je pense à un truc vif, plein de vie...
Il remue la tête, Sil, ça envoie de la poussière d'étoile partout autour de lui.
Sil, il saurait pas ce que c'est, la vie, si Jasmin existait pas, mais avec Jasmin, avec Jasmin juste contre lui, il voit exactement ce qu'il veut dire par « plein de vie ».
Plein de vie = Jasmin.
Alors Sil sourit, tu veux qu'il fasse quoi d'autre ?
- Couleur de tes yeux quand tu te mets à sourire tout azimuts, tu crois qu'ils ont ça en magasin ? Comme ça, quand tu partiras, j'aurais toujours quelque chose de toi à admirer ...
Il se marre, parce que c'est la petite blague, entre eux.
Quand tu partiras, quand tu seras plus là, mort, quand tu m'auras abandonné.
Une blague, parce que ça ne pourrait jamais arriver.

Vendredi
Il ferme les yeux sur ces, ses souvenirs, ça fait un bruit de porte qu'on claque.
Avant les jours étaient tous les mêmes, sans l'être à une poussière d'étoile près.
Lundi : Jasmin. Mardi : Jasmin. Mercredi : Jasmin. Jeudi : Jasmin. Vendredi : Jasmin. Samedi : Jasmin. Dimanche : Jasmin.
Maintenant ...
Aujourd'hui : rien. Et demain, l'inconnu. Depuis que Jasmin a essayé de voler, la vie de Sil est en désordre, la vie de Sil n'est plus. Il tâtonne dans la vie, dans le vide.

Boum. Il s'est envolé, l'oiseau. Il a sauté dans le vide, dans l'inconnu à ses risques et périls. Un simple je t'aime, pardon griffonné sur un bout de papier à l'intention de son étoile et le voilà parti, aussi vite qu'il est arrivé. Son cœur se serre, ou plutôt il se déchire en milles miettes, il se décompose seconde après seconde. Les larmes coulent sur le visage de l'oiseau qui a déjà changé, juste le temps de prendre sa décision. Il se déteste, mais il n'a plus le choix. Alors lui aussi il court de toutes ses forces pour que personne ne le rattrape, jamais. Il serait incapable d’expliquer cette fugue à Sil, il ne se retournera plus sur ce passé, cette page qu'il déchire sans pour autant oublier les mots qu'il a pu laisser dessus, au fil des années, belles à en mourir. Une voiture passe, le prend en stop et il s'en va, très loin d'ici à la manière du vagabond qu'il est en train de devenir. Il change de pays, il se fait passer pour quelqu'un d'autre, mais surtout il fait son possible pour oublier cet organe pourtant vital qui bat dans sa poitrine, il se force un cœur de pierre parce qu'après tout, la place est déjà prise. Il le retrouvera dans un long moment, il en est persuadé. En attendant il tente seulement de se faire oublier, de laisser à son étoile la chance de renaitre avec une autre personne, qui elle ne fuira pas comme il vient de le faire. Même si ses rêves ne sont plus que cauchemars à présent.

Il s'émiette, il s'effrite, y a des cendres d'étoiles qui dégringolent de ses épaules, ses genoux, et s'échappent de ses yeux, de ses poches, au rythme de ses pas. Poussières célestes à ses pieds.
Il a le cœur brouillon, Sil, incapable de réfléchir.
Dans le ciel il y a le soleil qui tombe, qui s'efface, qui n'est plus que souvenir. Un souvenir comme Jasmin, un peu moins beau c'est tout.
Jasmin : six lettres, une fleur.
Un poème qui n'en finissait plus de durer, qui embellissait de vers en vers, des alexandrins infinis, éternels, prometteurs, qui ont fini par s'éteindre, s'élancer dans les airs. Et tomber.
Jasmin : deux souffles, un ouragan.
Un grand vent du nord, rafraîchissant, qui vous mélange les yeux et vous pique les yeux. Un truc magnifique qui vous secoue dans tous les sens, à vous faire tomber par terre. Un vent qui a embarqué du soleil avec lui, et qui rallume les étoiles dans vos yeux.
Jasmin.
C'est tout.
Avec ses yeux-ciel et ses paupières-nuages.
Jasmin, synonyme de miracle, qui a laissé un coup de vent trop puissant l'embarquer. L'ange doit ravir les choses du ciel à l'heure qu'il est, les étoiles doivent bien rire de ses blagues et la lune sourire devant sa beauté.
Sil, ça lui donne pas le sourire.
Il froisse dans sa main les trois mots. Je t'aime, pardon.

C'est le monde entier qui a subi un changement depuis l'éloignement de deux âmes sœurs condamnées à s'aimer malgré tout. Tout les visages sont fermés, l'air hivernal ne procure aucun réconfort, même le ciel est triste. Les étoiles sont les seules à rester toujours aussi belles aux yeux de Jasmin, rien ne pourra changer ça. Il a voulu prouver que c'est vraiment un oiseau, qu'il peut voler dans le vide sans s'écraser sur le sol. Un oiseau un peu fragile, mais qui s'amuse à parcourir les foyers un par un pour apporter un peu de joie dans une matinée monotone. Il a été bien naïf Jasmin, en fait il a seulement heurté le sol, ses ailes sont à présent brisées, comme tout le reste. Seul un miracle pourrait le guérir de sa chute bien trop haute pour lui. Il est patient Jasmin, ça arrivera tôt ou tard. Alors en attendant il laisse ses pensées divaguer au gré de leurs envies, elles mènent inévitablement à Sil, comme toujours. Ce petit bout d'homme qui pourrait faire sourire un génocide avec sa fausse fragilité attachante. Il est beau son Sil, comme une étoile, comme le soleil même. Sil c'est la chaleur dans un jour d'hiver, c'est celui qui vous aidera à remonter une pente trop dure avec douceur, sans se précipiter. La douceur, il la connait bien, elle émane de lui et il la contrôle bien. Cette perfection, Jasmin est forcé de s'en éloigner. Et ça, ça le tue à petit feu.

Il y a longtemps
Il court derrière eux, Sil, alors qu'il sait très bien qu'il pourra jamais les attraper, mais qu'est-ce qu'il a à perdre ?
Il étend les bras, pour se faire des ailes, comme eux, tout en sachant qu'il pourra jamais voler, mais qu'est-ce qu'il a à perdre ?
Perché sur le bord de l'immeuble, sur le bord du ciel, il y a Jasmin, qui le regarde avec le sourire. Il est dans le secret, lui. Il sait comment faire pour voler, mais il le dira pas à Sil, sinon, il se dit que Sil s'en ira voler de ses propres ailes. Alors que pour le moment, Sil, pour voler, il a besoin de Jasmin : ça lui convient très bien, à Jasmin-l'oiseau.
Sil, il court sur le toit, il a dix-huit ans. Il se dit que s'il pouvait voler comme les oiseaux, comme Jasmin, il emmènerait Jasmin partout, ils voleraient côte à côte, parce que c'est bien joli d'être une étoile, mais les étoiles, ça brille et c'est tout.
Pour beaucoup c'est déjà pas mal mais Sil, Sil, il veut voler, comme son amour.
- Sil.
Il s'arrête d'essayer de voler, il remballe les ailes. Et il tourne si vite les billes bleues vers Jasmin qu'il se froisse un muscle, l'imbécile heureux-amoureux.
- Oui ?
Il reçoit un baiser. Les baisers de Jasmin, oh, c'est doux comme la soie des pétales des fleurs.
- Tu veux qu'on s'marie, Sil ?

Maintenant
Mais ils sont là, toujours, posés sur ses lèvres, fantomatiques, là sans l'être vraiment : les baisers de Jasmin. Ces caresses, ces agressions, ces promesses, ces réconforts. Leur souvenir flotte sur la bouche de Sil, sa bouche ébahie et presque esseulée, bientôt esseulée. Car si les baisers y traînent encore aujourd'hui, viendra un jour terrible où Sil ne pourra plus les imaginer, les inventer, s'en rappeler.
Ils se seront envolés, comme Jasmin.
« Je t'aime, pardon » : trois mots, dont deux d'amour, cendre dans son poing, écrasés sous sa poigne d'amoureux abandonné, trois mots qu'il envoie eux aussi au vent, allez, puisque tout le monde a décidé de se mettre à voler.
En le laissant s'écraser.

Il y a six ans.
Comme tous les jours, Jasmin a fui son père malgré les réprimandes Sil. A la seule force de ses jambes encore bien jeunes, il marche pendant de longues minutes pour ensuite apercevoir la petite maisonnée pleine de vie, en tout cas plus que la sienne. Déjà son étoile a la faculté d'illuminer les pièces, tout est plus beau quand il est là. Jasmin il s'amuse à se dire que Sil n'est vraiment pas égoïste, il partage même sa beauté avec tout ce qui se trouve autour de lui et lui, il resplendit quand même. Il ne sait pas comment cette histoire va finir, mais peu importe, l'important reste de la vivre. Quelques mètres, des salutations polies puis voilà que Jasmin détale à toute vitesse vers la chambre de Sil, un peu à la manière d'un plongeur qui retrouve son souffle. Comme à leur habitudes, les deux mômes parlent de l'un, de l'autre, puis d'eux tout court. Cette fois là, Jasmin n'écoute qu'à moitié, puis il coupe Sil en pleine phrase pour la première fois. D'une voix toute douce, il entame.- Je peux te montrer quelque chose ? Mais avant, ce sera notre secret, d'accord ? Un secret précieux, plus que tout.Sans hésitations, le visage d'ange de l'étoile acquiesce puis dans un élan de courage Jasmin lie leurs lèvres d'un geste furtif, étonné. C'est la première fois qu'il embrasse un garçon, le garçon alors c'est perturbant mais il sait à présent que ce sera lui qui rythmera sa vie, Sil et personne d'autre.

Maintenant.
Le rythme de sa respiration justement, il est bien trop saccadé. Jasmin vient de marcher quelques mètres, mais il a l'impression d'avoir couru un vrai marathon. C'est ça, de perdre son souffle trop rapidement. Les larmes salées de tristesse se transforment désormais en colère contre lui-même. Comme le dernier des abruti, il a envie de se frapper jusqu'à marquer sa peau définitivement, après tout son cœur l'est déjà lui. Les ruptures conventionnelles sont déjà difficiles, mais à présent il est persuadé que les éloignements forcés le sont bien plus. Le cœur ne sait plus où donner de la tête, il est désorienté, totalement perdu quand on lui arrache une partie de lui-même. La douleur n'est même pas comparable, rien n'égale ça, sauf peut-être la mort. Mort, voilà l'état de l'ancien oiseau. Complètement déplumé, il se laisse glisser le long d'un tronc d'arbre puis il ferme les yeux, en attendant que la vie passe.

J'étais toi, tu étais moi. Tu attrapais mes mots et les incrustais dans tes phrases pour avoir des souvenirs de moi, quand tu parlais aux autres. J'attrapais tes larmes et les faisais couler sur mes joues, comme accompagnement aux tiennes,à l'exact même rythme.

Sept heures. La promesse du soleil se fait.
C'est bizarre ce mot, promesse, promesse, comme il sonne vide sans les tympans de Jasmin pour l'attraper, et sa bouche pour le renchérir. Promesse, promesse, Jasmin, il aurait rajouté : mariage, éternité, amour. Maintenant y a plus personne, plus de promesse, et le soleil, même s'il fait le beau, là haut dans son ciel encore gentiment étoilé, le soleil, bientôt, il arrêtera de briller, il perdra de sa couleur, comme toutes les choses que Jasmin chérissait du temps de sa vie. Sil, les forêts, et le soleil. Oui, Sil, il se décolore. Le bleu-gris-vague de ses yeux s'efface et roule sur ses joues. Ses perles de lèvres, deux pierres blanches à présent, deux galets négligés. Et son cœur, si c'en est encore un, n'en parlons pas. C'est plus un trou béant dans sa poitrine. On le croise et on s'étonne de voir au travers de lui. On le croise et on se demande qui c'est. On ne connaît pas Sil. On connaissait SIL ET JASMIN. L'étoile et la fleur.
Jasmin, cinq lettres de douleur. Elles courent, là, sous la peau de Sil, là où elles sont ancrées depuis vingt ans. Elles prennent son cerveau en otage, son cerveau brouillon aux cellules mélangées, et puis s'emparent de ses bras, tellement qu'il ne peut plus les articuler pour cacher ses larmes. Elles galopent, entre l'épiderme et les os, crashent dans ses coudes, puis, plus bas, ses genoux.
Et pendant ce temps, Sil, se meurt.

Mourir d'amour. Jasmin a déjà entendu ça dans les films à l'eau de rose, ceux qui transpirent l'amour et qui font pleurer les filles. C'est difficile à croire au début, comment une douleur psychologique peut-elle conduire à la mort ? Maintenant, il comprends mieux. La douleur physique n'est pas bien forte en comparaison. Le souffle se coupe, les yeux brûlent et les jambes ne semblent plus suivre le rythme imposé. Sans compter l'estomac qui se tord à force d'être vide, puis ce cœur qui ne sait plus comment faire pour battre, lui aussi est perdu. Voilà ce que c'est, mourir d'amour. La mort lui va mal à Jasmin, il a déjà la lividité du cadavre, l'esprit dénué de pensées et le cerveau sur off. Ses propres parents seraient bien incapables de le reconnaitre dans cet état, mais ils ne savent pas ce que c'est eux, ils sont trop occupés à mener leur vie bien rangée, planifiée jusqu'au moment de mourir. La vie d'ailleurs, Jasmin se demande sans cesse à quoi va ressembler celle de son étoile à présent, il va sûrement trouver un autre astre, quelque chose de plus adapté à lui parce qu'au fond, une étoile et un oiseau ça n'a que le ciel en point commun. L'oiseau lui, il est éphémère, l'étoile éternelle. L'étoile veille sur tout le monde en même temps, elle s'adapte puis l'oiseau lui, il est comme un inséparable, il aime une seule personne et quand cette dernière disparait il se laisse mourir à son tour. Mourir d'amour.

La vitesse. Elle efface les arbres et les ciels et le tout, tout, elle rend tout invisible, sur son passage. La vitesse. Encore plus vite, toujours plus vite. En ce moment, la vie; très prochainement, la mort.
Appuyer sur l'accélérateur, ne pas chercher les freins mais le mur, et se fondre dedans. Mourir.
Ses paupières font volets sur ses yeux. C'est fini, tout le monde rentre chez soi, faut dormir. Faut mourir. Au coin de ses yeux, les rides de vie rajeunissent déjà, avec la proximité de la mort. Le bord des yeux des gens, c'est là le bord de la vie. Ils se plissent de rire et s'affaissent de tristesse au rythme de la vie.
Ceux de Sil sont marqués par tout et absolument tout le malheur du monde.
Ses dernières minutes de vie, il les réserve à Jasmin évidemment. Avant le mur, Jasmin, ça va de soi.
Jasmin. Ses cils en filaments d'étoiles. Ses deux yeux-soleils. Sa bouche en rose. Son nez trompette, instrument de musique. Ses mains amoureuses du monde, à l'effleurer toujours du bout des doigts. Ses sourires thérapeutiques. Son air d'éternité, comme un ange, incapable de mourir.
Et pourtant : Jasmin sous un drap blanc, nu comme après leurs nuits d'amour, mais mort cette fois. Nu et mort. Jasmin plus blanc que le drap le recouvrant. Jasmin présent, mais Jasmin parti, à ne plus répondre à vos sourires et vos regards attristés.

Coup de volant. Et prie pour que ça marche. Jasmin t'attend de l'autre côté.

Quand l'espoir s'est envolé, il ne reste plus qu'à se plonger dans les nuits fauves. Jasmin il a tenté d'aimer et de s’approprier d'autres hommes, même des femmes, mais rien que le fait d'embrasser une autre personne réussissait à le dégoûter. Son cœur mort s'est mit à revivre pendant ces moments, lui renvoyant en pleine figure les images de ses nuits avec Sil, toutes plus belles les unes que les autres. C'est ces moments là qui lui ont permis de comprendre qu'il ne sera jamais capable d'aimer ou rien que de coucher avec une autre personne que son étoile. Son cœur n'est pas vraiment mort, il est seulement verrouillé à double tour et la seule personne susceptible d'avoir la clé est à présent à des centaines de kilomètres. L'idée de tout plaquer une seconde fois pour le rejoindre lui traverse souvent l'esprit, il s'imagine déjà les retrouvailles belles à en pleurer où il pourrait enfin resserrer son Sil contre lui, aussi fort que l'amour qu'il lui porte. Il ne le fait pas, non pas par peur mais parce qu'il veut lui laisser une chance de vivre quelque chose de beau avec une autre personne qui saura le rendre heureux puisque Jasmin a échoué à ce niveau et si dans quelques années il apprends que rien a changé, à ce moment il reviendra, mais pour ça il faut le chercher et les recherches c'est long. Elles ont durées quatre ans.

Le bruit de son cœur dans une machine. Son bras en compote contre son ventre vide. Les odeurs de l'hôpital, là où on vient mourir, pleurer, se réparer. Il ouvre les yeux, c'est pas le paradis ici, ni l'enfer, c'est comme partout ailleurs, partout où il n'y a plus Jasmin : c'est le vide. Et à ses côtés, une infirmière ravie de le voir vivant, les billes ouvertes.
Non, c'est pas le paradis, c'est pas l'enfer, Jasmin est mort et Sil a échoué à faire la même chose.
Soupir douloureux. La vie est encore plus laide quand elle persiste à être en vous.
- Ça va, monsieur Wazo ?
Wazo. Oiseau. Un nom de famille qui ment. Si seulement il pouvait en être un. Se jeter du haut d'une tour, comme Jasmin, et ne pas s'envoler, tomber, tomber, sentir dans ses ailes la vie qui s'en va.
- Vous vous sentez comment ?
Comme quelqu'un qui a échoué devant la mort, a fait triomphé la vie.
Misérablement, misérable.
Il lâche quelques larmes au creux de ses mains dissimulant son visage.
Larmes salées de honte.
Comment tu as pu manquer la mort, rater ta chance de retrouver ton amour ?

Parce que Jasmin est vivant. Quelque part.