Papy Wolf - Je suis un voyageur, ma maison est ailleurs.
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Sujet: Papy Wolf - Je suis un voyageur, ma maison est ailleurs. Mer 24 Juil - 23:33
D’habitude, t’es pas beau, Eluart. Tu sais, ces jours un peu dégueulasses où tu te morfonds dans ton morne, dans ta haine. Dans ta vieille putain de solitude, celle qui te tiens le bras au réveil, qui t’aide à marcher tout le jour et qui assouplie tes couvertures miteuses quand tu te recouches, le soir. Celle avec laquelle tu aimes tant te pavaner pour que les autres ne te voient pas. Celle qui fait de toi l’homme invisible, l’homme oublié. Le triste sire qu’on a mis de côté parce qu’il était bien trop violent pour qu’on s’en occupe vraiment. Ce genre de gars-là. Ce genre de type un peu poncé par la vie de tous les jours, à côté duquel on passe chaque jour et qui chaque jour ne nous dit rien. Même tes cheveux roux, ils n’attirent plus l’attention du bas-peuple. T’es un oublié, un enfant de la rue, de l’ombre, du sable. Un fils perdu du temps et de la mer brûlante, de la mer infinie. Et maman te retient, par peur de te perdre ? Ou par pure jalousie ? Qu’importe, elle te tient, elle te retient. Abruti enchainé, les pieds coulés dans le sable, et autour de ton corps, les algues d’une mer trop grise qui veut ton corps entier. La mer te fait peur autant qu’elle te fascine. Tes yeux viennent de l’océan quand il rencontre l’herbe, tu l’hurles à qui veut le savoir. Personne ne veut. Dans ta vie de tous les jours, ta vie de gosse qu’on ne voit pas, c’est la seule chose qui n’est pas laide chez toi. Mais pas aujourd’hui.
Aujourd’hui, ton visage, il est comme doux. Comme lissé. T’as vécu une nuit de plus qu’hier et au matin, tu avais perdu dix ans. Dix ans contre un mince et faible sourire, mais sincère, si sincère. C’est pas cher payé, si ? Peut-être un peu, pour toi. S’il avait fallu t’y obliger. Mais pas ce matin, non. Quand tu as ouvert les yeux, après quelques secondes, sans même que tu y penses, il était là. Il se complaisait à déchirer un peu tes joues trop mal rasées. Tu sais de tes sourires qui pendant quelques instants, quelques instants seulement, te font oublier les cauchemars de la nuit, les cauchemars d’hier, ceux qui bouffent ta mémoire et la maudissent un peu. Et la peuplent pourtant. De ces traîtres amis qui ne t’abandonnent pas, qui ne le feront pas. Et puis tu vis avec. Mais pas ce matin. Ce matin c’est l’oubli, mais pas eux qui t’oublient, toi qui t’oublies toi-même. Toi qui a dans le ventre les cicatrices tenaces d’un passé trop présent. Enfin, assez tenaces pour que tu n’oublies pas longtemps. Mais profite.
Profite et regarde la mer et défis-la un peu de ton regard émeraude. Aujourd’hui, dans un coin de ta tête, tu pourras rêver un peu à de nouveaux horizons, des horizons plus beaux que ceux de Douvres la grise. Des horizons parfaits ; ceux qu’on ne fait qu’ailleurs. Des horizons de rêves que tu ne connaîtras jamais. Qui existaient jadis sur ta terre d’Avalon que tu n’as pas su voir. De l’autre côté de l’eau, qu’importe par où tu pars. Il te faut un bateau. Aujourd’hui tu fois Wolf, aujourd’hui tu t’enfuis un peu. Tu t’offres, pour compenser un rail de coke, un petit rail d’ailleurs à cacher dans un creux de ton cœur bosselé. Et tu rentreras ce soir rassasié comme jamais. Mais demain, tu n’y retourneras pas. Parce que tu ne peux pas être accro à tout, tu te l’es dit. Et que ce qui se fume, ça te tue déjà assez joliment, que tu n’as plus besoin des hommes, d’un homme autre que toi-même pour ce genre de choses. Et que les idées d’avenirs, c’est des conneries qui viennent de l’homme. Et tu as une foutue peur bleue de mourir d’espoir. Qu’il n’y aura qu’à la fin, qu’à la toute fin que tu t’offriras ce droit d’espérer à nouveau. De toute recommencer à zéro. Comme cet homme prisonnier, ce condamné à mort qui tua son prochain à cause – grâce ? – du soleil. Et comme sa mère aussi et comme tous les autres, de cette race d’hommes qui va bientôt mourir.
Tes pas crissent sur les graviers. Tes pas font chanter le sable. Ils disent au monde de se retourner sur ton passage, que c’est le jour où tu autorises le monde tout entier à te regarder, aussi superbe que tu peux être, que tu n’es jamais. Tes cheveux roux ne jurent pas avec ton teint trop pale, aujourd’hui. Tes grands yeux, s’ils vivent avec tes cernes, c’est dans une séduisante coopération. Et tes mains. Tes mains, on aime les voir, quand elles ne sont pas fermées, quand elles ne portent pas cette envie de frapper. Même tes fringues, elles ont l’air moins pouilleuses que d’habitude. Moins fripées, moins trouées. C’est pas vrai, mais ça te fait du bien de te dire ça une journée. Rien qu’une journée.
Tu vois le bateau, au loin. Personne autour de toi. Ton sourire s’élargit encore un peu. Il te reste quelques secondes avant que Wolf soit trop proche, qu’il puisse le voir ton sourire idiot. Ce sourire que tu ne réserves qu’à toi et à la mer un peu, et aux vagues souvenirs de Galway la nuit. Ta main qui frotte ta bouche et tes joues rapidement. Et te voilà l’homme invisible, et à nouveau l’oubli. Tu marches plus doucement, d’un coup. Comme pour profiter de cet instant parfait, celui d’avant de vivre le bonheur. Quand on ne fait que tremper, qu’on a pas encore tout à fait plongé. Cette courte distance à parcourir avant d’être bien, ouais. Parce qu’ici tu es bien. Ça change de ta vie sur la plage et de ta vie en ville et de toutes tes vies tout autour du monde. Si tu devais choisir, ce serait peut-être celle-ci, à regarder le vieux loup de mer pêcher des poissons tordus, en buvant une bière autant que ses paroles. Tu en n’aurais pas demandé plus au monde si tu avais su comme celui-ci est avare et comme on ne rattrape rien une fois qu’on a commencé à chuter. Tu te serais contenté de ton petit lopin de mer, petit lopin de bonheur. Maman la mer et papy Wolf le marin. Ça sonnait assez bien pour que tu dises oui. Alors tu as pris. Mais juste un tout petit peu, pour moins souffrir, tu te dis, quand ça devra s’arrêter. Sur ta droite, un peu plus long, le port tente encore de se faire remarquer. C’est trop tard. Tu ne te souviens de rien de ce qu’il a à te dire. Tu te concentres sur l’horizon et sur la silhouette élégante du petit bateau de pêche qui se détache d’un ciel parfait, parfaitement gris. Plus grand chose entre le marin et toi. Tu as comme l’envie d’accélérer, de presser ton pas trop lent, beaucoup trop lent. Mais tu t’y refuses. Profite. Profite encre un dernier instant de cette insulte au foutu destin qu’ils t’ont tous gravé sur le dos, les uns après les autres. Dis-leur. Dis-leur que malgré tout ce qu’ils t’ont fait, il te reste encore de cette tendre envie d’être heureux, cachée juste là, au creux de ton estomac. Tu enjambes le bord du bateau, distraitement. Il ne s’est pas retourné. Tu ne crois pas en tous cas. Ta tête toujours bien haute, c’est l’horizon que tu ne quittes plus. Un tas de cordes, sur le côté. C’est ta place, juste à toi. Tu creuses ton trou à chacune de tes visites. Dans quelques instants, sûrement, tu t’y assiéras. Tu attends sa permission, d’abord. Tu attends toujours sa permission. C’est cette sorte de questionnement constant qui trouve une réponse, une réponse à cette douloureuse question : veut-il bien de toi sur son bateau ?
Un raclement de gorge. Pas pour attirer l’attention, non. Ce genre de raclement qu’on fait pour parler quand on s’est tu trop longtemps. « Salut, papy. » Pas un mot de plus. Ça te suffit pour le moment. Tu n’es pas le genre de gars à parler beaucoup. Un peu après, quand tu sauras s’il veut bien de toi aujourd’hui, tu lui demanderas peut-être s’il va bien. Tu verras plus tard. Enfin, tu baisses les yeux, sur ses cheveux grisonnants et ses épaules carrés de marin de jadis. Ce vieil homme de la mer. Est-ce la mer qui l’a fait ou lui qui a fait la mer ? Tu te poses encore la question, parfois, quand au détour d’une heure de la journée, quand tu fixes l’eau sombre, c’est son visage qui s’impose à toi. L’homme pêcheur. L’homme qui vole à la mer ses plus tendres enfants sans qu’elle ne lui en veuille. Comme ils doivent s’entendre, ces deux-là. Patiente encore un peu et il te racontera tout. Il fait ça à chaque fois comme lui aime parler et toi aimes écouter. L’accord parfait, vous êtes faits pour vous entendre. C’est le cas. C’est le cas et tu le sais, parce que dans un coin de ton crâne, la seule chose qui se dit, c’est ta joie d’être ici, ton bonheur de retrouver papy. Il ne manque que la bière.
Dernière édition par Eluart Ó Broin le Mer 31 Juil - 19:48, édité 1 fois
Sujet: Re: Papy Wolf - Je suis un voyageur, ma maison est ailleurs. Lun 29 Juil - 2:09
Papy.
C’est une de ces journée ou le soleil me fait regretter d’aimer autant ce stupide foulard de femme autours de mon cou. Une journée où il fait beau et que la chaleur s’étonne de trouver mon corps sur sa route. Ma peau pâle ne rougit pas sous sa caresse peu chaste comme elle semble presque refléter les rayons du soleil autant que je bronze jamais où alors que très peu. Même pas besoin de crème solaire, je nargue le réchauffement climatique et défi les cancers de la peau. Loup, la Kryptonite des rayons UV. Il fait beau, alors j’abandonne mon imperméable constant sur un siège avant de prendre place sur mon bateau. J’aurais pu y dormir, qu’on aurait pas vu la différence. J’y suis immuable comme le temps. J’existe sans fin à cet exacte endroit, sur ma chaise de camping, seule le nombre de putains de bouteilles vides change. Toujours plus. Elles se tiennent compagnie au fond des boîtes vides, bien alignées les unes près des autres. Les soldats de la liberté mentale et de la confusion physique. Un petit paradis facile pour quelques euros. Je préfères les partager certes, mais y’a personne.
En tout cas je le pensais franchement. Je vivais ma vie de gros bateau tranquille, assit sur mes bières et mes quelques kilos de confort en trop. Je me sens vieux aujourd’hui, oui. Un vieux un peu souriant, un peu bourré par les mouvements de la mer tatoué sur mon bras. Je me sens vieux. Vieux et fatigué. Mon âge me poursuit, mais j’ai trop la flemme pour me lever et courir. Alors je les années me choper par le cou et me tenir par les coucougnettes sur mon bateau bourré comme la houle. Oui, je pensais être seul, encore pendant quelques heures puisse que le cabot était absent et qu’aucun gamin du village n’était encore venu me voir, me demander un cours de vie, acheter un peu de poissons pour la famille « la prise du jour, s’te plait, Loup » au coin des lèvres. Mais la solitude est un sentiment qui ne vient jamais seul et voila que le roux descend la rue sans que j’en ai conscience. Y’a son odeur corporelle qui flotte un peu partout derrière lui sans le suivre vraiment. Il doit sentir bon le rouquin frais des montagnes, le déodorant sauvage des prairies et le bonheur fou de l'adolescent heureux sans malice, cocaïne débraillée au coin de la narine. Il pense que je ne sais pas, mais je sais.
Je connais la jeunesse. On croit que je les vois pas, mais je les connais, les petits indices discrets de la drogue. Les iris rougies, les sourires mécanique permanents, je me gène pas quand je quitte mon bateau, pour leur faire la morale quand je les vois se lécher les organes à coup de ce qu’ils pensent appeler amour avec raison. Les gamins sont toujours trop jeunes pour comprendre ce mot, de toute façon. L’amour c’est quand l’autre meurt et que tu l’aimes quand même. C’est quand t’arrives plus à faire autrement que de te noyer du prénom de l’autre et que t’arrives à avoir peur de l’oublier et peur de ne jamais le faire sortir de ton crâne en même temps. L’amour, c’est la noyade.
J’aime Douvres à m’en noyer, j’aime y vivre pour de bon, j’aime y être et j’ai du mal à comprendre qu’on veuille s’en sortir. Si c’est une prison, c’est la prison la plus belle du monde. Avec ses murs hauts et gracieux, salit de saloperies et de bonheurs, de rêves à vivre et de suicides passés. De fantômes souriants. Le fond sonore est un peu banal, certes, mais on s’habitue. Le bruit de l’eau se mêle rapidement aux voix et au sons des souliers sur les rues qui montent et descendent. Parfois, il devient un peu hypnotisant. On entend plus les autres bruits. On n’entend plus les roux qui s’approchent avant qu’ils ne grogne par l’intérieur.
Il se racle la gorge comme je relève les yeux sur lui. Même pas de surprise, il a juste brisé le son continuel. J’ose reprendre ma bière de la chaise de plastique à côté de la mienne. Elle est tout le temps là, cette chaise. Depuis tellement longtemps qu’elle est déformé. Elle est débalancée, son équilibre est branlant et une patte ne touche plus le sol, le plastique blanc est salit et des stries de noir la colore.
« Salut, papy» Papy. Je suis le grand père de personne et de tout le monde à la fois. Mon bateau vert et turquoise est devenu un espèce de point de rencontre pour les jeunes. Ça arrive qu’on vienne me rejoindre, qu’on me donne ce surnom familier et en même temps faux. « Papy», « grand-père» je ne suis rien d’autre que le père de Cerbère, et encore, parfois j’ai du mal à y croire encore. Je l’ai pas mis au monde, mais il est là, dans ma vie depuis tout ce temps. C’est mon fils et je le vois de cette façon, même si on a pas le même nom de famille et que j’étais à l’enterrement de ses parents. Je suis le grand-père des gamins qui s’installe à côté de moi. Comme le roux. Je grogne. Assis-toi petit, tout le monde est le bienvenu sur le dos de la mer.
« T’es amoureux, Le roux ? » C’est ma façon de l’invité à se poser, j’imagine. Prend une pause de réality, gamin. Laisse-toi aller, deux secondes. Je soupir, tire une bouteille fermée et fraiche d’une box en carton humide par l’atmosphère de la mer. J’espère qu’il se sent bien et qu’il était pas venu trouver des conseils d’amoureux transit parce que j’ai pas ça dans mon recueil, j’ai que des mots durs et difficile à prononcer et à avaler. La pilule de la vie, si on veut, en moins rance. J’ai dépassé ma date de péremption, de toute façon.
« Parce que moi j’aime Douvres. T’sais, je prends mon bateau parfois, j’pars et tout. Et parfois, ouais, j’ai pensé que je pourrais juste partir et pas r’venir. Sauf que je me retrouve tout le temps là. Assit ici, tout le temps avec ma bière et Douvres derrière moi. »
Un rire, délicat et vieillit par les pensées perturbées. J’ai peut-être un peu la tête qui tourne. Je vais peut-être me noyer encore une fois...
« J’suis un peu bourré j’crois. »
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Sujet: Re: Papy Wolf - Je suis un voyageur, ma maison est ailleurs. Mer 31 Juil - 19:47
Papy ? Tu ne sais pas d’où ça vient. Tu en avais des grands-pères, sur l’île d’Avalon. Un bien ancré à Galway, du côté de maman. L’autre, tu ne l’as pas connu, mais tu en as tellement entendu parler que c’est tout comme. Le grand héros, soldat de l’IRA. Ils t’en ont tellement fait d’éloges que tu croyais, gamin, qu’il avait libéré l’Irlande du Nord à lui tout seul. Tu étais fier de son nom, fier d’être son petit-fils, fier qu’il soit mort pour cette terre qu’il aimait tant. Et en même temps, tu avais du mal à comprendre. Maintenant que tu l’as quittée, ton Irlande, maintenant que tu as les deux pieds coulés dans le sable de Douvres, foutument incapable de t’enfuir, tu comprends pourquoi il s’y est tant accroché, lui. Si c’était à refaire, tu resterais là-bas, sûrement. Si tu souhaitais fuir à nouveau, ce n’est pas Oxford que tu aurais choisi, mais Derry ou Belfast pour mettre tes pas bien dans les pas de ton grand-père. Ces belles empreintes de révolté qui te faisaient rêver gamin. Aux enfants, on racontait des contes avec des sorcières et de loups, des fées et des princesses. Toi, tu lisais des journaux intimes trouvés dans le grenier qui parlaient de fusils et de protestants fous, de catholiques martyrs et puis de terres volées. Tu fermais les yeux et tu imaginais ces rues barricadées et les flammes qui hurlaient aux irlandais de fuir. Ces irlandais qui ne fuyaient jamais. Ces irlandais qui avaient une foi que tu ne comprenais pas, que tu perçois certainement mieux, ne serait-ce qu’un peu mieux, aujourd’hui que tout est passé, que tout est oublié. Aujourd’hui que ta terre finalement tant chérie n’est plus là sous tes pieds. Elle te fait de grands signes dans un horizon que tu ne peux plus voir. Et tu es les anglais de t’avoir enfermer dans cette ville hideuse qui ne te comprend pas. Douvres, ça racle dans ta gorge, ça donne envie d’hurler et puis de fuir un peu. Ça fait pleurer le soir et maudire le matin. Frapper dans la journée. Douvres, ça ne te convient pas.
« T’es amoureux, le roux ? » Tu dis rien. Tu serres l’idée de l’amour tout contre ton cœur, assez fort pour l’étouffer. Tu réponds parce que de toute façon, Wolf trouve toujours le temps de répondre avant toi. T’es de ces gens qui se concentrent pour le moindre mot. De ceux qui sont incapables de parler sans s’arrêter. Tu réfléchis, tu tousses. Tu hésites et tu te reprends, à part quand il s’agit de mots violents. Ceux-là, vous vous connaissez trop bien, ils se permettent de sortir tout seul. Mais les mots doux, eux, ce sont des mots saints. Il faut les vénérer un peu avant de les laisser forniquer avec ton vieil accent vert. De toute façon, les mots de papy sont toujours mieux que les tiens. Ils sonnent rocailleux, bien sûr, mais ont la mer entière là pour les adoucir. De toute façon, tu lui répondrais quoi si tu devais répondre ? Tu n’es pas capable de dire que ce que tu manges est bon, alors aller dire ton amour à quelqu’un. Tu esquisses un sourire en t’asseyant sur le cordage. Tu imagines un instant que tu n’es pas le seul à t’y installer, que d’autres jours, il y a d’autres gamins en quête d’aventures, de mots de matelot. Tu n’aimes pas l’idée alors tu l’oublies vite. Tu la caches dans ta poche en priant un instant pour qu’elle soit trouée. Tu veux des images plus belles à entendre que celle qui se bousculent dans les recoins de toi-même. Papy est là pour ça. « Parce que moi j’aime Douvres. T’sais, je prends mon bateau parfois, j’pars et tout. Et parfois, ouais, j’ai pensé que je pourrais juste partir et pas r’venir. Sauf que je me retrouve tout le temps là. Assit ici, tout le temps avec ma bière et Douvres derrière moi. » Tu bouges pas. Pas un foutu mouvement de ta part. Une drôle d’incompréhension dans le coin de ta gorge. Toi qui rêve de voyage, toi qui rêve de fuir Douvres. Comment peux-tu entendre de telles idées sans t’énerver comme ça, d’un coup ? C’est la mer qui t’apaise, comme à chaque fois. Mais tout de même, ça te prend un peu le cœur. Tu lui en veux de pouvoir partir, de revenir quand même. Plus encore que de retrouver l’Irlande, tu rêves de disparaître totalement. Paroles d’une chanson française que maman faisait sonner à ton oreille, jadis. « Je suis un voyageur, ma maison est ailleurs. Je cherche une autre rive pourvu que j’arrive. » Le prénom du monsieur t’échappe. Souchon. Mais tu ne sais pas vraiment le prononcer. Ton français est médiocre. Tu gardes la mélodie juste pour toi, juste pour tes tripes. Son rire te réchauffe un peu. D’un coup, tout ce qu’il a pu dire te semble moins grave. Tu souris presque. Pas tout à fait parce que ce serait te trahir, mais tu esquisses. Tu caches ça en te roulant une cigarette, rapidement. Et tu l’allumes sans sourciller, sans répondre. T’es pas fait pour répondre. Ça arrive toujours à un moment, mais il faut que tu t’adaptes d’abord. Que tu réalises bien où tu es, avec qui tu es. Et quand tu réponds, tu livres rarement de toi, ou pas de trop. Des phrases de ces grands hommes que tu admirais petit, dont tu bouffais les livres le plus vite possible. Des idées, comme ça, communes. Absurdes, aussi. Tu le sais, mais ça t’évite de parler de toi. Alors tu prends.
Il boit, tu fumes. « J’suis un peu bourré j’crois. » Nouveau sourire. Tu en fais un peu de trop, quand tu viens ici, n’est-ce pas ? « Il faut au moins ça pour pouvoir aimer Douvres. » que tu réponds de ta voix trop grave pour coller sur ta gueule de môme. Tu lui en veux un peu, un peu d’aimer cette ville que tu vomis un peu plus chaque jour. Mais tu comprends pourquoi, en même temps. Tu comprends à quel point ces conneries qu’ils appellent les origines peuvent te clouer quelque part, t’empêcher de t’envoler trop haut, de te noyer trop profond. Tu lui en veux aussi un tout petit peu de voir son bateau encorder pour qu’il ne puisse filer avec l’aide d’une vague. « J’ai aimé jadis. » Tu ne sais pas ce qu’il te prend. Tu ne t’arrêtes pas pour autant. C’est étrange. C’est comme un nœud autour du cœur qu’on serait en train de défaire. « J’ai aimé l’Irlande. » Tu parles au passé. Ton amour pour l’Irlande ne vit-il pas au présent, au futur ? Qu’importe. Dans futur, il y a « fut ». Ton futur, s’il n’existe pas, ne sera finalement que ce que tu as su retenir de ton passé. « J’ai aimé l’Irlande mais je l’oublie. » Est-ce vrai ? Même toi, tu ne discernes plus le mensonge de la douce réalité. Les deux s’entrecroisent avec élégance, dans ta cage thoracique, dans une longue valse et leurs corps s’emmêlent, et leurs corps se fondent. « J’ai tendance à oublier. » Douvres te fait peur, mais cela tu ne le dis pas. Un peu de ton passé, tu peux en parler, mais tu gardes juste pour toi de ces étranges frayeurs qui t’arrachent chaque jour un peu de ton âme. Même à Wolf tu n’arrives pas à les dire. Soyons honnêtes, juste une fois, juste comme ça : même à toi, tes frayeurs, tu ne te les dis pas.
Sujet: Re: Papy Wolf - Je suis un voyageur, ma maison est ailleurs. Jeu 29 Aoû - 20:24
Papy.
C'est triste de ne pas aimé Douvres, je trouve. De ne pas tomber amoureux de ses courbes et du vertige de ses falaises. Elle est unique, la belle pute. Tranquille et mouvementée à la fois. En même temps, j'imagine que ça doit dépendre des gens. Comme les femmes, on peut passer notre vie avec sans les aimer et sans les détester non pus. Douvres c'est un peu pareil, j'pense. C'une belle qui fait miroité l'espoir de d'avantages rien que parce qu'elle flirt avec les vagues et qu'tout l'océan entier lui lèche l'entre-cuisse. Moi j'ai la chance de ne pas lui être exclusif. C'est pas ma femme, ma femme est morte. Alors je peux me balader, voir les vagues et profiter du mouvement de l'eau berçant comme une caresse sexy sur la courbe ronde et lisse de la coque de mon bateau de pécheur... Je me suis attaché à sa violence silencieuse et sa tendresse sourde, quelque part. Douvres, c’est doux. Un amour tendre et pourtant volage comme il vient et va au grès des erreurs et des évènements crochus et tordus.
Parfois, ouais, j’la déteste et d’autre fois, si elle avait des bras, je m’y blottirais en chouinant comme une fille. Moi. Ouais. Wolf. Le loup. Chouinant dans les bras de Douvres. Putain, si c’est pas pathétique, en fin de compte je me demande bien ce que c’est. J’affiche toujours cet air un peu décontracté, un peu froid, un peu triste, un peu neutre aussi pour cacher que je suis un grand sentimental au fond. Je tombe amoureux à toutes les semaines de quelque chose de différent. Une femme. Une fille. La mer. Une bière aussi parfois. Plusieurs souvent. Je fixe toujours la mer pourtant, elle qui me quitte jamais vraiment avec sa voix de sirène salée.
Seulement, Le Roux, si j’aime Douvres c’est pas à cause de la bière, ni de la fumée, ni tout ça. Je l’aime parce que j’l’aime. Elle a toujours été douce avec moi. J’ai jamais rien eu à lui donner pour avoir tout ce que j’ai eux. Douvres à tout repris, ouais, même qu’on m’accuse pour la mort de ma femme. J’espère que ça te dérange pas, que je vois toujours un suspect dans sa mort han ? J’espère que tu viendras me rendre visite aussi si c’est moi qui finit en prison. Peut-être que je l’ai fais, aussi, qui sait ? C’est ce que les rumeurs de Douvres racontent après tout, han. Que se serait pas surprenant que je l’ai fais. Personne m’en veut non plus, je pense, ils traineraient pas aussi souvent sur mon bateau sinon, les gens. Je l’aime plus que de raison, cette stupide ville. Elle m’a mit au monde.
C’est donc bien triste à mes yeux que tu ne saches y trouver ta place, vraiment. C’est peut-être paternel, mais j’veux qu’il soit heureux, ce petit roux. Il le mériterait bien, tien. Un joli sourire sur sa bouche comme celui qu’il portait quand il est arrivé sur mon p’tit bâteau.
L’oublie est quelque chose de naturel et pourtant de triste, aussi. C’est comme oublier ta mère, tu sais. C’est un peu dommage et drôlement maladroit, petit roux. J’échappe un petit rire, un peu sec, un peu bourré et secoue doucement la tête. Je sais pas si c’est par dépit ou par compassion, pour être entièrement honnête. Douvres me manquerais, à moi, ma ville à moi. Mais je comprends qu’on puisse oublier quelqu’un, quelque chose qu’on aime fort. Pourquoi je porterais un foulard de femme sinon ? Parce que j’oublie son image lorsqu’elle le portait et il la ramène à la vie. Son odeur n’y ai plus depuis longtemps, mais j’ai son flacon de parfum qui traine sur la commode et au fond d’un tiroir. Mais j’oublie. J’oublie son regard, j’oublie sa voix aussi. J’oublie que je suis père aussi et que c’est même pas son enfant.
« L’oublie pas trop quand même, une fois qu’elle aura disparut, elle reviendra pas, Le Roux. Et tu seras triste après. » Tu marques une pause et cogne un peu du pied et tu vois dans ta tête, la carte du monde. Comment Douvres est pas trop loin de l’Irlande en fait et comment se serait facile pour retourner chez lui ou au moins, de s’approcher de la rive. J’hausse même une épaule un peu désinvolte avant de prendre une nouvelle gorgée de bière et de tirer un peu sur le foulard de fille autours de mon cou.
« S’tu veux on ira sur mon bateau. ‘Fin on prendra p’t’être un plus gros bateau, mais si ça t’manque trop, on ira, c’est rien, c’est pas trop loin t’sais... »
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Sujet: Re: Papy Wolf - Je suis un voyageur, ma maison est ailleurs.
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