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 Je crois qu'il profita, pour son évasion, d'une migration d'oiseaux sauvages.

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Pan Beauregard
Pan Beauregard

Je crois qu'il profita, pour son évasion, d'une migration d'oiseaux sauvages. Tumblr_mzvl3xc8kl1ry26w7o1_500
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♒ âge: six étoiles, vingt-deux printemps, cent-sept balais.
♒ profession : vendeur de rêves d'enfants.
♒ le choix du coeur: le lac.


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MessageSujet: Je crois qu'il profita, pour son évasion, d'une migration d'oiseaux sauvages.   Je crois qu'il profita, pour son évasion, d'une migration d'oiseaux sauvages. Icon_minitimeSam 29 Juin - 11:38




C’est joli dehors. Derrière la vitre.
Ça défile trop vite pour qu’il puisse voir les détails des feuilles des arbres, des troncs. Pas besoin. Il les connait par cœur. Il pourrait les décrire les yeux fermés. C’est comme une partie de lui. Et depuis que Moira l’a abandonné, il a une connaissance encore plus exacte de chaque arbre, chaque bout de trottoir, chaque champs. À force de prendre le bus.

Terminus.
Tout le monde descend – sauf Pan.
Sauf le conducteur. Il vient à Pan, il marche, un peu gêné par son ventre proéminent.

- Mon p’tit, je comprends pas ce que tu fais.
- Je fais rien, monsieur. Rien de mal.
- T’as pas autre chose à faire que de prendre le bus peut-être ? Je te trimballe depuis le début de l’après-midi. Descends, maintenant. Rentre chez toi. Il est tard. Et demain, fais des choses de ton âge un peu.

Ça monsieur, ça risque d’être compliqué.

Dépité. Il marche au hasard, il erre. L’ennui, c’est qu’il sait pas trop où il est par rapport à chez lui. Il met un pied devant l’autre, il trouvera bien.

Il vient là pour le silence. (Au cimetière.)
Parce que y a toujours du bruit. Partout. Le tic-tac d’une montre. Le moteur d’une voiture. Une machine à laver, un lave-vaisselle, la radio, des voix à la télé. Être ici, c’est comme être dans un désert. Pas un bruit. Les morts sont silencieux. Ce silence qu’on respecte.
Seul bruit toléré : le vent – pur, beau.

Il est pas arrivé là par hasard, comme ça peut lui arriver si souvent.
Il avait trouvé le chemin jusqu’à la maison. Il était arrivé au portail de la maison. Il était vingt heures. Il s’est frappé le front de la main – si fort, jusqu’à s’écorcher la peau avec le fermoir de sa montre. Il a lâché : « j’ai oublié Mary ! » Alors, chemin inverse. Il a juste eu le temps de voir sa mère sortir sur le perron – pour voir son fils faire demi-tour. Il a pris par les champs pour aller plus vite. Il a couru un peu à la fin. Mary allait le fâcher drôlement fort. Il venait toujours le samedi.

Quant à la montre, c’est pas une vraie montre. Comprenez-moi : il y a deux aiguilles, une trotteuse, un cadran, un bracelet, tout ça. Mais elle marche pas. Pas une vraie montre, donc. Une montre, qui ne dit pas l’heure.

Tant mieux – l’heure, c’est un truc d’adultes.
Ils sont toujours en train de la regarder en grommelant – je suis en retard, le temps passe trop vite, j’ai oublié d’aller chercher les gosses à l’école.
Barbant.

- Alors Mary comment ça va aujourd’hui ? … Oui je sais, je suis en retard. … J’étais dans le bus. … Tu vas pas t’y mettre, toi aussi !  Le conducteur m’a dit la même chose. Je fais ce que je veux. … Oui ! J’ai remarqué ! C’est chouette ! Ça fait du bien, du soleil !

Il considère la tombe avec une moue. Ça va pas.
Il passe son pull au-dessus de sa tête. Le coton gris pâle caresse la pierre tombale, déloge la poussière, les petites branches installées. Il bosse dur pendant quelques trente minutes. Jette les fleurs fanées. La plaque cassée. « À mon amie disparue ». La sueur perle sur son front. Il bénit cette sueur. Fruit de son dur travail.

Il recule pour admirer le boulot.
C’est propre. Entretenu.
Et demain, il ramènera une nouvelle plaque. Il la fixera bien, pour pas que le vent la brise en morceaux, cette fois.

Mary Smith
1901 – 1980.


Ils ont fait connaissance dans l’esprit de Pan il y a quelques mois. Avant Cerbère. Première visite dans le cimetière, il tombe sur cette pierre tombale. Abandonnée. Pas de fleurs. Pas de plaque. Pas de croix. Rien ni personne. Il a pleuré à chaudes larmes devant la solitude de cette morte. Il en a pris la charge. Ils ont fait connaissance. Ils discutent. Ils s’entendent bien, malgré quelques chocs de culture, parfois.
Et Cerbère, il a fini par se laisser apprivoiser – finalement.

Cerbère.
Il est quelques mètres plus loin. Perdu dans sa tête, clope au bec – fidèle à lui-même, donc.
De là où il est, il doit bien voir la mer. Mais pas Pan.
Le jeune garçon le rejoint, il se cache derrière les arbres, marche doucement pour que l’herbe ne craque pas sous son pas. Discret. 008. Il saisit l’épaule de l’homme.
- Bouh.
Sourire.
Pas un mot.
Il retourne auprès de Mary.

Il appelle.
- Cerbère ! Cerbère viens voir ! Cerbère, c’est Mary. Mary, Cerbère – il est un peu ton garde ton corps. Il veille à ce que toi et tes copains, on vous embête pas.

Puis il y a cette chose que Pan ne remarque pas, là-haut dans le ciel, cette chose qui guette : la nuit.


Dernière édition par Pan Beauregard le Dim 15 Sep - 15:50, édité 1 fois
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Cerbère du Maurier
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ATTENTION CHIEN MÉCHANT
alors, ô ma beauté! dites à la vermine qui vous mangera de baisers, que j'ai gardé la forme et l'essence divine de mes amours décomposés !

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♒ âge: on ne le sait pas réellement, certains lui donne la trentaine et d'autres à peine vingt ans.
♒ profession : fossoyeur, croque-mort, gardien du cimetière, fournisseur de poison, de corde aux noeuds coulants et tout autre objets contondants pour vous faire rejoindre les morts.
♒ le choix du coeur: enterré quelque part sous une tombe sûrement


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MessageSujet: Re: Je crois qu'il profita, pour son évasion, d'une migration d'oiseaux sauvages.   Je crois qu'il profita, pour son évasion, d'une migration d'oiseaux sauvages. Icon_minitimeMer 11 Sep - 2:36


le grand petit garçon
(NERVAL) ▽ Mon coeur encore tendre et novice, Ne connaissait pas la noirceur, De la vie en cueillant les fleurs, Je n'en sentais pas les épines, Et mes caresses enfantines Étaient pures et sans aigreurs.  
Douleur lancinante. T’ouvres les yeux, frissonnant. C’est la brise maritime qui te fouette le visage. Des claques sur ton visage lassé. Réveille-toi, Cerbère, la sieste est finie. T’as le corps endolori. L’impression d’être tordu dans tous les sens, espèce de vieillard difforme. Encore un peu et faudra te fabriquer un cercueil sur mesure, pour t’y faire rentrer. T’es plus tout jeune et un de ces jours tu finiras figer dans une étrange position. Rien qu’un petit tas d’os distordu. C’est un de ces jours d’été, pas assez chaud pour faire crever les vieux, pas assez froid pour te donner envie de faire quoique ce soit. Oui, c’est une de ces journées où tu te contenterais bien de paresser dans le cimetière.
Tu te trainerais entre les tombes, à lire les inscriptions que tu connais déjà par cœur.
Tu t’amuserais des photos, des petits mots, des cartes et des fleurs.
Ceux qu’ont laissés les proches, les amis, la famille.
Autant de mots vides de sens à ton esprit.

Tu nourris les chiens qui t’accompagnent dans ta quête sans destination aucune. Malheureusement l’été c’est bon pour les affaires. T’as des commandes de partout, des gens qu’ont décidé de mettre fin à leurs jours. Toujours la journée, pendant que les autres sont sortis jouer. Ils ne supportent plus leur solitude. Ça te fait un peu d’argent en plus. Pour les livres, les chiens et les clopes surtout. En plus aujourd’hui, tu as qu’un trou à finir, tu en as déjà creusé la plus grande partie hier. Le soleil tape fort sur ton dos, la transpiration dégouline sur ton front, ta chemise te colle à la peau, la fatigue te tiraille le corps. Et lorsqu’enfin tu l’as finis. T’as estimé avoir le droit à ton repos mérité.
Tu t’es assis sur une tombe, contempler ton vaste jardin de jeu,
Ton petit parc, ton enfant, ton précieux.
Jusqu’à ce que la fatigue ait raison de toi,
Ici, à même la pierre dure et froide,
Tu te laisses allé et ferme les yeux.

L’après-midi tire à sa fin, lorsque t’émerges enfin. Le corps cassés en mille morceaux. Tu ne sens même plus ton dos. Plus jamais, tu te dis, plus jamais tu ne dormiras sur un tombeau. Il te manquerait plus que de finir bossu. Tu t’étires dans plusieurs sinistres craquements, comme si tu marchais sur des os d’êtres vivants. Tu te tiens debout, accoudé sur ta pelle. Tes doigts se perdent dans ta poche de pantalon.
T’en ressorts une cigarette, pour mieux te noircir les poumons,
Flamme qui brille un instant, fumée qui s’élève.
Tu contemples le soleil qui crève à l’horizon.
Quelqu’un vient de saisir ton épaule.

Bouh. C’est Pan, le petit grand garçon. Le blondinet qu’a réussi à se frayer un chemin parmi ces allées obscures. T’esquisses un sourire, ça ressemble sûrement plus à une grimace. Déjà, les chiens viennent se masser autour. Aussitôt qu’il s’est fait remarquer, Pan a déjà repris son envol. Il s’est posté quelques mètres plus loin. Pan t’appelle, te fait signe de le rejoindre. Tes jambes ont encore un peu de mal à répondre aux ordres que tu leur donnes. Mais t’arrives devant Mary Smith, du moins ce qu’il en reste. Pan parle à Mary, il lui parle de toi, comme si de rien était. Toi, t’as pas encore pipé mot. Tu remarques seulement que l’état de la tombe s’améliore de jour en jour, depuis que Pan y a jeté son dévolu. « Son mari et ses enfants sont tous morts à la guerre. Elle ne s’est plus jamais remariée. C’est presque surprenant qu’elle ne soit pas morte plus tôt. »
Le ton est tout à fait neutre, seule ta voix est un peu rauque,
Effet d’un silence prolongé, de trop de cigarettes consumées.
Tu parles toujours de la mort comme d’autres parlent de la météo.


« Elle s'est endormie sans jamais se réveiller. » Tellement banal et inintéressant. Tu haïrais de devoir mourir comme ça. Non, toi tu voudrais quelque chose de grandiose, de spectaculaire. Tu veux la mort qui fait mal, la mort qui te tord de douleur tant et si bien que cette mort là te donne envie de vivre. Et le ciel est à feu et à sang. Trainées écarlates qui se répandent. On vient de loger une balle dans la tête de quelqu'un. Le jour sans doute qui décline inlassablement, engloutis par les flots jusqu'aux abysses profondes. Et une réalisation te percute l'esprit. Comment le gamin, enfin le gamin qu'a pas loin de ton âge, va rentrer. Vu les alentours, il ne doit pas habiter tout près. « Dis-moi, t'habites loin d'ici ? Parce qu'il se fait tard et tu devrais rentrer. Surtout que le dernier bus a dû passer. Moi je vais rentrer, croquer quelque chose. » Ton estomac crie famine. Une brusque envie de viande, à se mettre sous la dent. « Enfin j'suppose que si tu promets de te tenir tranquille tu peux venir aussi. » Tu ne sais pas bien pourquoi tu viens de dire ça.
Excepté toi, personne n'a mis les pieds dans la petite maison,
Depuis le suicide de tes parents y'a plus d'une dizaine d'années.
Par mauvais goût, t'as même laissé pendre les cordes dans leur plafond.
(c) AMIANTE


Dernière édition par Cerbère du Maurier le Lun 11 Nov - 9:43, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Je crois qu'il profita, pour son évasion, d'une migration d'oiseaux sauvages.   Je crois qu'il profita, pour son évasion, d'une migration d'oiseaux sauvages. Icon_minitimeDim 15 Sep - 16:18

je suis tentée de t’hanter.

On perd dix degrés soudain. Boum, comme ça – la nuit tombante, la proximité de la mer, ça en fait des bizarreries météorologiques. Pan, il reprend son pull, il se sent déjà enrhumé, avec sa sueur refroidie.
Et dans la presque-nuit, Cerbère a une voix encore plus terrible. Elle casse fort la quiétude de l'endroit, à la différence de Pan, qui veille bien à ne pas réveiller les amis endormis de son amie.
- Son mari et ses enfants sont tous morts à la guerre. Elle ne s’est plus jamais remariée. C’est presque surprenant qu’elle ne soit pas morte plus tôt.

Parfois, Pan voudrait frapper Cerbère. Pour dire des choses aussi sales et moches, pour parler de la mort avec le même ton qu'on utilise quand on demande du sucre dans son café, au restaurant.

- Elle s'est endormie sans jamais se réveiller.
Mais il se rattrape toujours avec des phrases comme ça, qui font rêver Pan, un peu. Cerbère, il dit des choses tellement jolies parfois, même si c'est pas l'effet qu'il donne aux premiers abords.
Oh, non.

Coup d’œil vers la tombe de son ami et coup d’œil vers le grand.
Pan a connu Mary avant Cerbère, oui, c'est ça, Mary avant Cerbère. À la façon de son possible ami, il a fait passé les morts avant les vivants, Mary avant Cerbère. Quoique des fois Cerbère a l'air mort. Il est noir et blanc dans les yeux de Pan. Pas comme dans un vieux film. Comme si c'était un fantôme. Un fantôme qui fume toute la journée, alors forcément avec la fumée, il est plus opaque que les autres fantômes !
Tricheur.

- Dis-moi, t'habites loin d'ici ? Parce qu'il se fait tard et tu devrais rentrer. Surtout que le dernier bus a dû passer. Moi je vais rentrer, croquer quelque chose.
Pan, il panique dans la nuit qui se faufile entre eux, les rend tout sombres et bientôt invisibles aux yeux de l'autre. Et Cerbère, il parle de sa voix mécaniquement robotique, un peu comme si il allait le larguer ici.
Dans la nuit. Avec Mary. Mais avec les morts. Et les chiens aussi. Et, oh, la nuit.

- Enfin j'suppose que si tu promets de te tenir tranquille tu peux venir aussi.
Cerbère ne fait pas de blagues. Jamais. Il sait sûrement pas faire. Problème de ton, problème de personnalité.
Cerbère ne fait pas non plus d'ironie, de sarcasme.
Cerbère est bêtement honnête.
Alors, Cerbère dit la vérité. Cerbère invite Pan dans la maison qui fait peur à tout le monde.

Pan, il sauterait bien de joie. Mais il faut se tenir tranquille, Cerbère il a dit. Alors il dit pas un mot, il fait pas un geste, il respire à peine, jusqu'à ce que Cerbère s'anime. Il le suit, en essayant de pas faire crier les feuilles mortes par terre. Il salue Mary, tout silencieusement.
Il a emboîté le pas du grand et il en frémit d'avance - de ce qu'il va voir. C'est comme un nouveau pas vers Cerbère. Parce que Cerbère, même quand il se tient à un mètre de Pan, ou moins, il a toujours l'air loin du gosse.

Et pourtant, pourtant.
Dans la tête joliment déglinguée de Pan, Cerbère, c'est comme un grand frère imaginaire. Pour Pan, cet enfant unique gâté pourri, cet enfant tout court. Un espèce de phare dans la nuit, point de repère dans le cimetière. Même si il fait peur comme tout. Même si il est pas, plus, beau. Même si il vit dans un cimetière, avec des chiens, et qu'il parle jamais avec personne.
Cerbère, c'est la chaussure au pied de Pan, et la pointure est parfaite.
Bizarre et vrai.

C'est une maison plus petite que celle des Beauregard.
Pas un château et l'air hanté qui va avec. Pas de volets grinçants et de porte délabrée. Ça fait même presque envie finalement.
Pan, il jette ses yeux du côté de Cerbère. Y a personne qui ose entrer.
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MessageSujet: Re: Je crois qu'il profita, pour son évasion, d'une migration d'oiseaux sauvages.   Je crois qu'il profita, pour son évasion, d'une migration d'oiseaux sauvages. Icon_minitimeMer 13 Nov - 12:13


le grand petit garçon
(NERVAL) ▽ Mon coeur encore tendre et novice, Ne connaissait pas la noirceur, De la vie en cueillant les fleurs, Je n'en sentais pas les épines, Et mes caresses enfantines Étaient pures et sans aigreurs.  
Elle est là, la nuit, drapée de froid, d’une allure terrible. Prête à faucher les pauvres gens à ses pieds. Elle vient s’écraser sur ces pauvres fourmis, ce parterre de vermine. Ça vous prend à la gorge, ce froid. C’est un pincement au cœur, l’envie de partir, de rentrer au plus vite possible. Se réfugier dans la belle lumière de l’électricité, près du chauffage ou même d’un feu de cheminée. Boire une bonne soupe chaude que maman a préparée. Mais on est là, coincé dehors comme des demeurés. On a beau soufflé sur les doigts, il fait toujours aussi froid. Et Cerbère il a faim, il a l’habitude de manger à heure fixe, comme ses chiens.
Mécanisme bien huilé,
Routine du dérangé.

Il contemple de laisser le garçon dehors, de l’abandonner comme ça à l’extérieur. Dans le froid de la nuit et sa noirceur. Mais au-delà de ses allures tout droit sorties des enfers, il faut croire qu’il reste un petit bout d’humanité à Cerbère. Quelques miettes de pitié, un début d’affection à sa façon. Parce qu’il a le sentiment que Pan le comprend. Un petit peu, pas totalement, mais déjà suffisamment. Il parle aussi aux morts comme s’ils étaient vivants.
Alors Cerbère invite Pan à la maison.
L’antre du monstre.

Pan dit d’abord au revoir à Mary, femme courageuse qui n’a pas succombé au syndrome du survivant. Cerbère la respecte pour ça. Cerbère il méprise cette soi-disant maladie. La culpabilité du survivant, une belle foutaise. Certains meurent plus vite que d’autres, ce n’est que le cours naturel des choses. Alors non, Cerbère n’a jamais pleuré aux enterrements, ni à celui de la femme de son parrain, ni à celui de ses parents. Alors Cerbère, on le traite de monstre sans sentiments. Il s’est contenté de regarder, un peu absent, mécaniquement.
Le baiser de la mort sur leurs pâles visages.
Ils n’ont sûrement pas tort, ces gens.

Pourtant, le voilà sur le pas de sa porte, une chevelure blonde à ses côtés. Il tourne la clé dans la serrure, les deux, s’il vous plait. Légère paranoïa. Cerbère a trop à perdre pour laisser ouvert. De l’argent, certes, mais aussi des plantes, des fleurs fatales littéralement. Cerbère les conserve dans la cave à l’abri des regards, derrière une porte verrouillée elle aussi. Point de cadavre, d’os, de squelette et autres objets macabre dans la cave. Seulement des fleurs, des fioles, des poisons. Dans l’entrée, Cerbère accroche sa belle veste de cuir noir, imprégnée de l’odeur âcre des cigarettes qu’il a fumé pendant des années. Il ne sait pas vraiment quoi faire. Il est un peu gêné, pas habitué.
Il décide de laisser Pan faire.

Ils avancent, le parquet craque sous leurs pas. Ils arrivent au salon qui sert aussi de salle à manger. D’un côté, une table, quatre chaises, dont trois qui n’ont pas servies depuis une décennie. De l’autre, un canapé, vieux, moelleux, le genre où vous vous enfoncez en s’asseyant. Près des murs, les bibliothèques, des étagères entières pleins d’ouvrages. Parce que Cerbère n’a pas la télé, non. Il trouve ça trop bruyant, trop abêtissant. Trop vivant. Pour se divertir, Cerbère, il a des piles de journaux, des rubriques nécrologiques qu’il a gardé. Il a des livres, des gros livres d’anatomie, des livres sur les maladies. Des livres sur les plantes, sur les poisons, sur la nature. Il a même des romans, policiers, fantastiques et horreur principalement.
Tout ce qui est susceptible d’avoir affaire avec la mort.

« Assied toi où tu veux. J’vais faire à manger. J’espère que t’aimes la viande et le thé, j’ai que ça de toute façon. » Cerbère n’a pas besoin de beaucoup plus. « Ah oui et ne fais pas de bêtise. » De nouveau, l'ombre d'un sourire peut-être. À la cuisine, trône sur le côté l’énorme frigidaire américain métallique dernier cri à double porte. Assurément l’objet le plus moderne de toute la maison, responsable, au moins, des trois quarts de la consommation en électricité. Il faut au moins ça, à Cerbère pour garder la viande, au frais, pour lui et pour ses chiens. Il en est proche jusqu’à les nourrir de la même façon que lui. On dira bien que c’est malsain.
Cerbère ne mange pas équilibré, mais il se dépense assez physiquement.
Il se dit que ça compense.

Il met le steak de Pan d’abord, dans la poêle. Parce qu'il sait qu'il ne le voudra pas aussi saignant que Cerbère. Il en fait pour les chiens aussi, quasiment cru. Vite fait, bien fait. Les masses noires se déplacent presque dignement jusqu'à leurs gamelles. Presque. Il déniche et dépoussière un deuxième verre pour le thé. Il fait cuire son steak à lui, avant d'amener le verre de Pan. « Je crois que je dois avoir un peu de lait, mais pas de sucre. » Cerbère n'a que le strict minimum. De toute la maison, rien n'est inutile, rien n'est superflu. Bientôt, Cerbère ramène les assiettes aussi. Il se met à sa place habituelle, en face de la fenêtre. « J'te rassure, au cas où tu te demandais, c'est pas d'la viande humaine. »
Vague tentative d'humour.
Il aura tout fait ce soir, Cerbère.
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Pan Beauregard
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MessageSujet: Re: Je crois qu'il profita, pour son évasion, d'une migration d'oiseaux sauvages.   Je crois qu'il profita, pour son évasion, d'une migration d'oiseaux sauvages. Icon_minitimeVen 3 Jan - 9:25

Il y a des maisons heureuses, et puis des maisons malheureuses. Il y a celle des Beauregard : timidement, doucement heureuse, parfois malheureuse, comme toutes les autres. Et puis il y a celle de Cerbère, complètement triste, tellement peu accueillante que le bonheur a décidé de pas y mettre les pieds. Pan, tout de suite, il les voit, les quatre chaises, l'une vivante, réchauffée souvent par le corps de Cerbère, les autres, froides, cadavériques.
Pan avec sa dégaine de gosse content il fait tâche, un peu, tâche de bonheur.
- Assied toi où tu veux. J’vais faire à manger. J’espère que t’aimes la viande et le thé, j’ai que ça de toute façon. Ah oui et ne fais pas de bêtise.
Pan fait le bateau, poids sur son pied gauche, poids sur son pied droit. Décide de se poser sur la chaise du chef, la chaise de Cerbère, les autres lui font peur, bizarrement, elles ont la mort sur elles.
Thé, viande. = nouveauté. Pan, il boit de l'oasis tropical, Pan, il mange du poisson pané, du poisson "pas-né", ça le fait rire d'avaler du paradoxe.
- Je crois que je dois avoir un peu de lait, mais pas de sucre.
Pan, il trouve que ça sonne drôle dans la bouche de Cerbère : sucre. Sucre c'est vivant, c'est doux, c'est pas Cerbère. C'est comme préparer à manger pour le gosse Pan, c'est pas Cerbère, pourtant, pourtant.
- J'te rassure, au cas où tu te demandais, c'est pas d'la viande humaine.
Il a une de ces voix, quand il dit ça, Cerbère : humour. Doux sarcasme, auto-dérision. Un sourire glisse sur les lèvres de Pan : évidemment, que c'est pas de l'humain que Cerbère lui fait manger. Pour Pan, Cerbère, c'est la gentillesse. Un peu effrayante, un peu sombre, une gentillesse incomprise, inhabituelle.
Gamin obéissant, il mange en silence, Pan, comme chez lui parce qu'il faut laisser Père parler. Ici, personne parle.
Il mange sans faire de bruit, Pan, quitte à manger très lentement parce que ça en réclame, de l'effort, de couper du steak sans faire crisser à mort la fourchette contre la porcelaine.
Pan, il mange sans faire de bruit, surtout parce qu'il a peur des chiens, là, pas de Cerbère, Cerbère, il est gentil on a dit, mais les vrais chiens, les clébards véritables, ils tournent autour de Pan et ils lui font peur. Pan, il côtoie plus les papillons que les presque-loups. Il en est à plier ses jambes sous lui, sur la chaise, il espère que les yeux de Cerbère passent pas par là, il voudrait pas que le grand pense qu'il est une chochotte, qu'il mérite pas sa place ici ou qu'il s'y sent mal à cause des molosses.
Il s'y sent bien.
Juste, sans les chiens.
Ultime bouchée, Pan, il pose sagement sa fourchette sur le bord de son assiette. Elle est belle, la fourchette, en équilibre sur la porcelaine, Pan la fait danser un instant, puis avale son verre de lait (sans sucre).
Ça lui fait un petit nuage au dessus des lèvres, il s'en rend même pas compte, lui les nuages ça l'embête pas, tu m'étonnes, c'est un petit gars du ciel. Pas si loin de Cerbère que ça, finalement, Cerbère, il chérit les gens qui montent au ciel, après tout.
Ça le fait sourire.
Fatigué, le sourire.
- Je suis fatigué. Je peux dormir ici ?
Il hésite qu'après coup, il aurait dû hésiter avant. Maintenant c'est dit, les mots se sont échappés de ses lèvres et sont là, en suspension dans les airs, façon atomes ou poussières de vie, déjà souvenirs. Mais souvenirs proches.
- Enfin ... sur le canapé, quoi.
Encore des mots de trop : il imagine les bêtes venir chatouiller ses rêves cette nuit, et il frissonne.
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