elias, elias.
huit ans environ. tu ne trouves pas que ça fait long comme excursion sous marine ? les poissons te fascinent-ils au point que tu ne veux plus nous voir ? comment ça fait d'avoir des branchies, dis ? comment ça fait de pleurer des bulles d'air qui dessèchent tes pupilles d'océans désertiques ? tes océans éteints, tes océans fermés, tes océans absents. c'est comment d'avoir des écailles dans les poumons, alors ? ça fait huit ans que tu dois me faire visiter chez toi. moi je crois que tu les as oubliés entre deux vagues trop salées. qui c'est qui t'a demandé de partir, là-bas ? tu fais quoi, là-bas ? est-ce que tu danse dans l'écume sur les plages d'un autre pays ? ils arrivent à penser à toi, des fois, ça leur revient, et ça sent la mer d'y a dix ans.
t'as laissé des cadavres de poupées sur la plage, y en a certains qui répètent ton nom encore et encore. y en a un on dirait toi. il est tout petit, on dirait un poupon. tu t'en souviens de ton poupon elias ? il a les cheveux noirs du goudron, la peau blanche des chrysanthèmes et les yeux du bleu des cieux. on dirait un fantôme quand il marche. il a l'allure de ton esprit, il a la silhouette de celui qui est déjà parti. depuis longtemps, ça fait dix ans qu'il est à moitié parti se perdre avec toi. alors depuis ils se regardent dans le creux des yeux et il a un arrière-goût d'elias. c'est peut-être toi qui as un avant-goût de lui. un truc qui part pas à la machine même quand on lave à l'eau chaude avec beaucoup de savon. alors on passe un coup de brosse à chaque fois. on frotte un peu en espérant que ça parte. mais tu sais quoi ? ça part pas.
et puis avant y avait des traces de pas sur les trottoirs, y avait des gamins qui courraient. quand t'y repense tu les vois encore s'bouger et tomber les uns derrière les autres. y avait toute une bande de gamins des alentours, y avait des sourires, des grands élans de balançoires. y avait des bonbons qui poussaient dans le ciel, des nounours, des grandes fleurs, des nuages à mille formes en papier crépon. t'as du tenir sa main trois fois, lui faire deux bisous par-là. c'était rien, c'était comme les grands, c'était marrant de jouer aux dames et aux grands hommes. y avait des menthes à l'eau dans la cuisine, et y a plus que de l'eau qui sent vaguement la menthe. y a des ombres qui s'installent sous les portes comme des vieux amis jusqu'à prendre possession de toute la pièce. on avait pas besoin de ça, j'te dis.
derrière le mur de cheveux emmêlés, elle arrive plus à voir ce qu'elle veut voir. le joli, le beau, les reflets colorés sur le noir laqué. elle a la rétine qui prend la poussière et ça commence à gratter, elle va finir par s'arracher les pupilles et laisser tomber sa peau en lambeaux si elle s'obstine. c'est un coup de mou pour mieux repartir, elle plonge en profondeur pour remonter plus haut, ça sera toujours mieux si ça a été mal. alors elle prend une poche de cookies, elle prend de la menthe à l'eau et elle murmure qu'elle s'en va, elle prend le large le long du goudron. elle hésite à courir sur le chemin mais elle ne sait pas encore où elle va. contre quel marin au coeur houleux elle ira se cogner. elle suit les vieilles traces de sables sur la route. elle suit les échos des rires qui s'intensifient aux coins des rues, elle marche, elle tourne, elle court, elle vole, puis elle s'écrase, droit sur la porte. elle voulait encore faire des loopings dans les airs, sauter sur le dos d'un oiseau; on fera ça demain matin en se levant dans les étoiles.
elle n'est pas venu depuis longtemps. c'est comme un grand musée de l'enfance par ici. elle sent, elle voit, elle entend comme il y a trente centimètres et deux kilos de sourires. elle devine des silhouettes qui ne sont pas là, ça la fait sourire de retrouver un semblant de ce qu'ils ont perdu. sa patte blanche plonge dans le fond de son sac et sort la poche de cookies. ses grands yeux découvrent et redécouvrent, ça aide à respirer mais ça fait mal. elle a les vannes qui vont ouvrir, les barrages qui vont céder. elle a un frisson qui lui parcourt les veines, milles yeux absents qui se braquent sur elle. elle hésite entre la folie et une trop grande lucidité. celle qui la fera fuir loin, même sans ses cookies, quitte à y laisser la menthe à l'eau. il te laissera fondre au soleil comme la poupée de sophie, louve, tu devrais dégager, mais toi tu jette l'ancre.
lancez les jets d'eau salée,
trois,
deux,
un,
merde.