Il grogne, Felipe, comme toujours, à sentir mes doigts glacés se perdre sous ses vêtements. Ça me fait sourire, un peu plus, de le voir comme ça. Peut-être parce que c'est devenu une habitude, ses grognements incessants, ses plaintes éternelles, ses sourcils froncés. Oui, sans cela, ce ne serait pas Felipe. « P'tain franchement » Je relève un sourcil, porte mon visage contre son cou, y cherche de la chaleur. J'ai l'air d'un gamin collant mais sur le moment, j'en ai strictement rien à foutre. Les gens doivent être occupés à faire les courses de noël pour s'occuper des deux pédales du coin. « Franchement tu vois ? T'es mort de froid, p'tain. J'irais t'porter au boulot, j'commencerais plus tard ou j'sais pas, mais p'tain, prends pas ta foutue moto en hiver. » à mon tour, cette fois, de froncer les sourcils et grimacer de mécontentement. Je remue la tête négativement, parce qu'il est hors de question de le laisser faire ce genre de choses. Non, j'veux pas être le boulet pour qui on est en retard au boulot, quitte à me casser la gueule en cours de route. C'est certainement la fierté mal placée qui prend la parole, qu'importe, elle a raison. « J'veux pas que tu choppe un truc, connard. » Ma bouche, contre sa peau, ne peut s'empêcher de rire dans un souffle chaud. « J'suis pas de la porcelaine, tu sais. J'ai vu pire. » Mon nez, gelé, caresse doucement sa mâchoire tandis qu'il continue, dans la même optique. « On va t'acheter des combines, au moins. » Je me recule, légèrement, plante mes yeux brillants dans les siens. « j'en ai peut-être une vieille qui traîne dans les cartons que j'ai pas déballé. Mais ça va, t'en fais pas. J'vais pas mourir. J'suis robuste, quand même. » Je lui souris et balaye du regard les environs jusqu'à apercevoir Elsie, là, perdue dans la foule. « Oh Fel, regarde. » Mon menton lui désigne la jeune fille tandis que je lève la main pour tenter d'attirer son attention vers nous. Elle est certainement l'une des seules sur qui je ne porte pas de jugement débile et infondé.

Tu pleures. Comme un con. Là. Tu te laisses aller dans ses bras. Parce que tu ne sais plus quoi faire. T’as l’impression que Niel t’a arraché le cœur avec ses mots. Parce qu’il ne peut pas être mort. Il ne peut pas. « Je suis désolé. » T’as trop mal de te dire que tu ne le reverras jamais. Ni lui. Ni elle. C’est comme si tu les avais tué tous les deux.
Et tu le détestes Niel. De ne rien t’avoir dit. De te l’avoir volé. T’as le cœur en miette là. Le cœur détruit. Tu le détestes. Mais tu t’agrippes à lui. Fort. T’as besoin de lui. Parce que t’as l’impression d’être seul au monde maintenant. Juste parce que tu sais qu’il n’est plus là. « Je suis là. On est encore là. » Tu t’agrippes à son teeshirt.
« …niel… » Tu fermes les yeux. « j’devrais pas…j’devrais pas être là… » Toi, le connard. Tu es toujours là alors qu’ils ne le sont plus. Ou est la justice ? Cette pute de justice … « … ça aurait du être moi. Pas eux… »

Rage, dans le cœur. Rage, dans les pensées. Rage, au fond de l'âme. Petit démon danse, joue contre mon cerveau, avec son trident dégueulasse. Il reste même du sang, là, sur ses ongles. Mes pupilles sombres jettent un dernier coup d’œil à la tempête. Elle est presque belle, à faire naître un chaos si enflammé. La foule prisonnière du bâtiment semble même danser au gré de ses envies. Dieu doit sourire, du haut de son nuage, à voir ses pantins courir après le temps. Un sourire capture mes lèvres lorsqu'une vague de personnes s'écrase entre deux rayons. Ils sont faits, comme des rats et ne savent que perdre leur sang-froid. Au milieu de l'anarchie, moi, je ne fais que fumer une cigarette. Certains me jettent un regard noir mais n'avancent pas leurs pensées à voix haute. Ils pourraient bien, de toute façon, me faire la morale. La seconde d'après, je serais déjà en train de les gober. C'est l'avantage d'être une coquille vide : on dévore tout, sans jamais n'avoir la moindre culpabilité. Mes doigts, couleur lavande ne savent plus que tenir droits pour y maintenir le bâton de nicotine. J'ai l'impression de les avoir laissé trop longtemps dans un feu, pourtant, contre mon menton, je les sens aussi froid que mon âme. Je balaye les alentours, encore, de mes deux orbites. La gorge nouée, je suffoque dans ma propre fumée. J'ai l'air d'une fausse note, là, au milieu du monde. Comme des traces de suçons incrustées sur la peau d'une vierge. Même mes pas ne claquent plus au sol.
Te voilà, fondu, Barnabas, au milieu de cette foule insignifiante.

Niel, il se mord la lèvre; ça fait un peu mal, il y a même une petite perle de sang, mais il ne s'en soucie pas. Il ne va pas la chercher, non, avec le bout de sa langue. Il ne va pas la chercher. Niel, il se contente de serrer Aristée dans ses bras, et puis il ferme les yeux, pour essayer de prendre sa douleur. « …niel… » Ça ne fonctionne pas réellement, pourtant, car il n'est pas un superhéros avec un pouvoir un peu idiot. Il n'est qu'un grand perdu, là, serrant son ami dans ses bras, pour apaiser ses peines. « j’devrais pas…j’devrais pas être là… » Niel serre les dents, perce encore un peu sa lèvre, légèrement. « chut... dis pas ça, Ari... » Il a le corps un peu tremblant, le coeur un peu fragile, à l'entendre dire de pareilles choses. « … ça aurait du être moi. Pas eux… » Et Aristée, il ne cesse de continuer. Niel, il ouvre les yeux, un instant, soupire, souffle tremblant. « tu sais que c'est faux... c'est faux. » On ne choisit pas qui meurt, on ne colle pas les proies de la mort. Et la Mort, de toute manière, elle est douce ; ce n'est qu'une caresse, contre la peau, un souffle qui se tait pour en faire être un meilleur. Niel, il glisse ses doigts dans ses cheveux, observe leur couleur brin de blé. « Assis toi, je vais chercher du papier, pour tes yeux. » Il caresse sa joue, les doigts tremblants. Sa voix, elle est un peu mieux, un peu plus certaine; peut-être est-ce de parler de la mort, qui sait, qui le met ainsi. Paisible. Niel l'observe quelques secondes de plus, et puis il regarde autour, et va chercher des petites serviettes à main, au comptoir du café. Il doit se frayer un chemin au travers de la foule, là, et il n'en a pas envie, alors, il fait lentement le tour, prend le plus grand sentier, et rencontre un regard un peu sombre. « oh, bonjour. » Il mord sa lèvre, encore, goûte le sang, y passe sa langue, avant de prendre quelques serviettes de table.

La fumée de cigarette me pique un peu les yeux. C'est un cercle rouge qui entoure à présent mes pupilles ébènes. On dirait la faucheuse, vêtu de noir et de mort. Pourtant, la fin, elle ne m'attire pas, non. Les derniers flocons de neige fondent sur mes vêtements lorsque son corps frêle glisse à travers les autres, plus robustes. « oh, bonjour. » Le sourire s'agrandit, déforme mon visage habitué au rien constant. J'ai les doigts qui se mettent à trembler, déjà, à la vue de son visage enfantin. Niel, on pourrait presque penser qu'il porte une auréole au dessus de sa tête. Mais même ça suffirait à le briser. C'est une pureté sans artifices : la peau sur les os. La mélodie d'un piano semble résonner dans mes pensées, accompagner ses gestes délicats jusqu'à ce que son visage ne se fige face au mien. Mes pupilles découvrent ses lèvres et les gouttes d'âme rouges qui s'en échappent. C'est une lueur de paradis, là, contre sa peau blanche comme neige. « Niel. » L'une de mes mains, toujours glacée et engourdie se relève et caresse sa joue. Mon pouce, prudent, avide de son contact attrape l'ultime goutte de sang. J'ai le cœur qui s'agite, là, sous ma cage thoracique. Je ne sais s'il bat pour la beauté de Niel ou pour cette goutte de sang venue tout droit de son entre. « Tu saignes. » J'ai le cœur contre mes phalanges, soudainement. Et ce cœur, je le gobe, lorsque ma langue absorbe la perle rouge. J'ai l'impression qu'il se bat dans ma gorge, Niel, jusqu'à tomber dans mes entrailles et s'y faire prisonnier. « Toi aussi, donc, tu es victime des caprices du temps. » Je recule d'un pas, lui rend sa liberté, coupe le contact. Mais l'envie, non, elle n'est pas là. J'ai l'âme qui se débat pour lui. Le cœur dément qui bat à sa jeunesse éternelle.

Il ne bouge pas, Barnabas. Niel, il se met à rougir, alors. Il est persuadé de ne pas avoir parlé assez fort, ou alors peut-être, que l'autre ne le reconnait pas. Après tout, il ne parle qu'avec la toute petite de l'homme, quand il va travailler à l’hôpital, et avant, quand il accompagnait Oze à ses rendez-vous. L'homme, peut-être qu'il ne se souvient pas de lui. Peut-être qu'il a été gentil, les autres fois, à cause de la petite. Alors, Niel, il baisse la tête un peu, se dit qu'il doit retourné voir Aristée, et puis essuyer ses larmes. « Niel. » Mais il le reconnait, au final. Niel, il a un petit sourire, alors, sur ses lèvres. Un petit sourire et puis un point d'interrogation, dans les yeux, quand il tend sa main vers lui. Niel, il a sa peau de bébé qui tourne au rouge, un peu, rouge comme Noël, et puis ses sourcils qui se froncent un peu. Il a envie de demander s'il a quelque chose sur le visage, peut-être un peu de mousse au chocolat, qui sait, mais Barnabas, il pose un doigt sur sa lèvre. « Tu saignes. » Niel, il ouvre un peu la bouche, y passe la langue, encore, un peu gêné, soudainement. « Désolé. » Il s'excuse, pince ses lèvres, rentre sa tête dans ses épaules, désolé de saigner. C'est triste, après tout, les gens qui saignent. Il cligne des yeux, un instant, quand l'homme absorbe la goutte de sang au travers de ses lèvres, mais ne dit rien. Il ne saurait pas quoi dire, de toute manière. « Toi aussi, donc, tu es victime des caprices du temps. » Niel, il sourit, cette fois. Il serre les petites serviettes entre ses doigts et puis il sourit un peu, à l'homme, en pensant sa tête sur le côté. « oui, je me promenais et la neige est tombée. » Aussi simple que cela, comme si la chose était surprenante. Niel, il tourne la tête vers les tables, de sa grande taille, pour voir si Aristée est toujours là. « je suis avec un ami. » Il observe Barnabas, de nouveau ; ses cheveux entremêlés, ses traits tirés. « On boit un chocolat, et il pleure. Pour Oze. » Il mord ses lèvres, un moment, avant de passer ses doigts dans ses cheveux. « je suis - j'aime pas trop les larmes, mais je - je lui ai pris des serviettes. ça va irriter ses yeux, tu crois ? » Il baisse les yeux, car l'homme est plus petit, pour l'observer.

Felipe, il claque sa langue dans son palais, en captant le regard brillant d'Ilir. Il n'a pas envie d'y plonger, présentement ; il lève le menton, alors, dans l'espoir de l'ignorer grandement. Car il sait, quelque part, qu'en y plongeant, ce pauvre con aura raison de lui. « j'en ai peut-être une vieille qui traîne dans les cartons que j'ai pas déballé. Mais ça va, t'en fais pas. J'vais pas mourir. J'suis robuste, quand même. » Il fronce des sourcils, le peintre, face à ses paroles. Ses larmes se plissent et il lève les yeux au ciel, un berf instant. « ouais c'est ça. s'tu veux. » Qu'il grommelle tout bas, plus découragé qu'autre chose, inquiet aussi, certainement. Beaucoup trop pour son propre bien. Il baisse les yeux, au bout d'un moment, observe les traits d'Ilir sans la moindre discrétion, alors qu'il observe les environs. Le nez de cet idiot est toujours rouge par le froid, et quelque part, Felipe a presque envie qu'il tombe malade pour lui prouver à quel point il peut être bête, sur sa moto. « Oh Fel, regarde. » Il soupire, brusquement, détourne les yeux pour ne pas être vu en train de l'observer comme ça ; ça serait mettre des étoiles dans les yeux d'Ilir et ressembler à un couple bien niais. « quoi encore ? » Le peintre passe ses doigts dans ses cheveux, puis tourne les yeux vers la personne qu'il désigne. Elsie. Sa Elsie. La voilà, la petite lueur dans ses prunelles. Le voilà, le Felipe qui se redresse brusquement. « elsiiiiie !! beauté, ramène ton cul ici ! » Il rit un peu, lui fait un signe de la main, quand il croise son regard agacé. Il tend les bras, pourtant, le Felipe, pour la prendre dans ses bras.

Le rire quitte mes lèvres, un peu blasé, un peu dément. Mon regard transperce une nouvelle fois la foule tandis que Niel s'excuse comme il sait si bien le faire. C'est à peine si je les entends, moi, ses mots. Il parle trop bas, de sa voix toujours tremblante, de ses lèvres rouges par le sang et le froid. Même ses doigts n'ont pas fière allure à tenir ces serviettes délicatement. On dirait qu'elles pèsent une tonne à le voir comme ça. La tempête n'est peut-être pas seulement dehors, finalement, non elle doit être en lui, violente. Mais aussi en chaque personne, à ravager les âmes qu'elle caresse. « On boit un chocolat, et il pleure. Pour Oze. » Me voilà à hausser les épaules, avec un air détaché. La mort fait pourtant naître un goût amer au fond de ma gorge. Ce genre d'amertume que je tente tant bien que mal de dissimuler pour ne pas faire naître une réflexion mal placée. Si Niel est fort en excuse, autant dire que j'excelle au cynisme. « je suis - j'aime pas trop les larmes, mais je - je lui ai pris des serviettes. ça va irriter ses yeux, tu crois ? » La fumée quitte une nouvelle fois mes lèvres, s'échoue contre son visage pâle, l'épouse d'une odeur désagréable : la mienne. Le voilà imbibé d'une partie de ma descente aux enfers. « Ils sont déjà irrités ses yeux, par les larmes. » Le ton est presque sombre, comme pour marquer cette évidence qui me saute à la gorge. J'exerce un pas en arrière et plante une ultime fois mes prunelles sombres dans celles de Niel. « Je rentre. Tu devrais faire attention, toi. » Attention à quoi ? Au monde ? À la tempête ? Non, juste à moi. Qu'importe, la cigarette s'écrase au sol, efface les incertitudes tandis que mon corps se retourne lourdement pour se mourir dans la foule.

Elle est froide, Elsie, dans ses bras. Il sent la morsure du froid qui n'a pas encore quitté sa peau, ses vêtements, et Felipe, il ne peut s'empêcher de frictionner un peu son dos, pour la garder un peu au chaud. Pour lui faire du bien, et cesser les frissons sur sa peau. « Salut vous deux, achats de dernière minute aussi ? » Felipe grimace un peu, prêt à lui montrer son gallon de peinture et à se plaindre, mais la douce, elle va prendre Ilir dans ses bras. Le peinture, il ne peut s'empêcher de se figer, juste un instant. Parce que c'est étrange, nouveau surtout, mais que ça le fait sourire. Le genre de sourire qu'il ne peut pas cacher, du moins, pas pendant les premières secondes. Il détourne les yeux un instant alors, juste pour se cacher un peu, pour ne pas avoir l'air trop niais, trop sentimental. ll fait mine, cet idiot, d'observer les gens, là, tout autour. « Vous passez noël ensemble ? » Il tourne les yeux vers elle, pourtant, subitement. Elle sait pas encore, c'est vrai ; qu'ils vivent encore. Felipe se racle la gorge, pendant un instant, avant de mordre sa lèvre. Il prend un moment, lance un regard vers Ilir, avant de répondre. « Hm... on vit ensemble, donc ouais. » Il se racle la gorge, encore, avant de tourner les yeux vers la foule. Il est mal à l'aise, ce con.

Il cligne des yeux, Niel, un peu comme ça, un peu pour sentir la fumée, là, qui le brûle doucement. Ça lui rappelle l'espace d'un instant la fumée toujours présente, toujours permanente, là, dans les bars. Quand son esprit est loin, quand son esprit est libre, et que ses mains, elles ne tremblent plus. Il sourit un peu, alors, le Niel. Il sourit, ce gamin trop grand, malgré la fumée juste là, dans ses yeux trop grands. Il sourit, oui, et puis il penche un peu la tête sur le côté, toute en l'observant fumée. « Ils sont déjà irrités ses yeux, par les larmes. » Niel ouvre un peu la bouche, sur la surprise. Il fronce un peu des sourcils, puis hoche de la tête. « Oui, c'est vrai. P-Pardon. » L'odeur de la cigarette, de son souffle s'éloigne de ses traits. Niel, il est un peu triste, par ce fait ; il a envie de fumer lui-même, au fond, mais ici, comme ça, il est trop timide, oui. Il se contente d'observer Barnabas, alors. « Je rentre. Tu devrais faire attention, toi. » Niel, il se mord un peu les larmes, face à ça. Juste un instant, avant de tenter un sourire un peu hésitant. Il lui adresse un joli sourire, oui, avant d'hocher de la tête. « D'accord. Rentrez bien. » Il fronce un peu des sourcils, à l'entendre parler, en se souvenant de la dernière phrase. Il observe la cigarette qui s'écrase contre le sol, puis sourit. « Je fais t-toujours attention. » Il l'observe un tout petit peu, observe ses traits, et puis il se recule de quelques pas, lui fait un signe de main, et retourne à la table. Son chocolat, il doit être un peu froid. Les larmes d'Aristée, ils doivent avoir cesser de couler. Niel lui adresse pourtant un sourire un peu tremblant, avant de lui tendre les serviettes de table, et puis de s'asseoir.

Y'a qu'un mot qui fait sa loi à cet instant dans la tête de Marcus : bouffe. Partout dans le centre commercial, ça sent la bouffe. t'as les enseignes habituelles mais là, t'as aussi les petits stands de noël où des gens te présentent mille et une spécialité venues d'un partout partout, du pays, de France. Marcus, il devait venir faire les courses mais au final, il est rendu ouf par la bouffe. Par cette bonne odeur et tous ces gens qui t'interpellent pour te faire goûter leur produit. Alors lui, à la vitesse de l'éclair, il court partout dans le centre stand, de stand en stand pour avoir le temps de tout goûter. Il s'attarde surtout au gratuit, mais ça sent tellement bon, le prix ça n'importe même pas dans sa tête de gros ventre. C'est Noël. Merci Père Noël d'avoir emmené avec toi tant de bouffe dans ce magasin. Marcus, il est aux anges. Certes un peu dérangé par la coupure de courant. Les cris. Les gamins qui s'agitent pour retrouver leur vieux. Et l'annonce que les portes sont bloqués. Il panique pas lui, il espère juste que personne n'aura l'idée de venir passer le temps que ça rouvre à venir manger gratuit, il a pas finit de visiter toute l'allée.

T’as pleuré. Un peu. C’était brusque et violent. C’était comme une tempête à l’intérieur de toi. Puis tu t’es ressaisi. Ne pas être faible. Jamais. Alors tu t’es senti con. D’avoir craqué comme ça. De t’être laissé aller. T’as failli partir. Te barrer. T’as failli le planter pour aller voir ailleurs. Puis finalement t’as décidé de rester.
Tu t’es assis sur la chaise et t’as essuyé tes yeux. T’as effacé ton envie de tout défoncer et t’as juste patienté. Puis il est revenu. Avec son air un peu désolé. T’as pris ses serviettes et tu l’as regardé. Après quelques secondes, t’as fini par lâcher. « J’ai pas compris pourquoi vous avez fais ça. » Tu y repenses. A ça. A leur abandon. « Quelques jours avant, il disait qu’il m’aimait. » T’avales ta salive. Tu dégluties. C’est un truc que t’as pas compris ça. Pourquoi il t’a dit qu’il t’aimait sur la plage. Pourquoi il t’a dit ça si c’était pour partir avec Niel ? Pour te voler ton meilleur ami. « J’crois qu’on retrouvera jamais ce qu’on avait Niel. Nous deux. J’veux dire … y’a quelque chose de cassé. » T’as plus confiance. Il était celui a qui tu disais tout. Ou presque. Tu lui disais ces choses que tu ne disais à personne. Aujourd’hui, t’as plus envie. Tu pensais qu’il serait celui qui ne te ferait jamais de mal. Et justement, tu pensais mal.

Il est doux, Niel. Si doux, si calme, si tendre. Niel, on ne le voit pas. Ou alors, on ne veut pas le voir. Il ferme les yeux des gens, pour ne pas qu'ils s'attardent sur lui. Ils ont mieux à faire ; d'autres problèmes, d'autres soucis. Niel, il ne demande rien à personne, il ne chigne pas, sous les coups, sous les cris. Il prend tout, même quand ce n'est pas pour lui. Avec Aristée aussi. Ça a été ça, souvent, avec Aristée. L'écouter crier, hocher de la tête, ne pas parler. Accepter sans parler ses crises de bébé, quitte à être malmené. Niel, il a souvent baissé la tête. C'était Ari, son unique ami. C'était Niel, l'enfant innocent, celui ne voit pas comme le monde est grand. Mais le monde... le monde, il a passé. Aristée et Niel, ils ne sont plus comme ça. Niel n'a plus besoin de lui, pour respirer, de peur de tomber. Ses yeux, ils sont tournés vers le monde, celui qu'il commence a comprendre, et non vers son ami. Niel, il a changé. Un peu, assez ; lui-même ne le sait. Mais parfois, ça en vient à se remarquer. « J’ai pas compris pourquoi vous avez fais ça. » Il hausse des sourcils, Niel, le nez dans au chocolat froid, maintenant. Il l'observe, là, de ses yeux bien trop grands et brillants. Il attend. « Quelques jours avant, il disait qu’il m’aimait. » Froncés, maintenant, les sourcils. La tasse, elle se dépose lentement, là, sur la table. Il l'observe en silence, le regard un peu plus fixe, dur. Il attend, sans chigner, la suite. « J’crois qu’on retrouvera jamais ce qu’on avait Niel. Nous deux. J’veux dire … y’a quelque chose de cassé. » Les lèvres, elles se pincent un peu, légèrement. Il retient un sourire, Niel, face à ça. Une connerie, là, qu'il voit. Une connerie. Il tourne les yeux, pour essayer de se calmer. Mais les mots ... les mots, ils sortent sans la moindre pitié. « Tu sais, t'as toujours adoré entendre ce que tu voulais, non ? Vouloir entendre exactement les mots que tu souhaitais, et puis les - les tourner à une manière qui te plait. » Il tourne les yeux vers lui, de nouveau. « Il t'aimait, oui. Comme je t'aime, certainement. Un amour un peu ... un peu sale. Parce que tu fais mal. Tu fais mal, Ari, tu sais ? » Ses yeux, ils se baissent. Les doigts, ils sont là, à trembler. « Tu veux.. tu veux tout. tout, tellement ...tellement tout en entier. t'es comme un enfant qui a jamais appris à bien jouer, un enfant qui casse ses jouets, quand il est en colère. tu - tu sais le nombre de fois que t'as bien pu crier sur moi ? les bleus que - que j'ai eu ? Je suis pas parfait. Oze était - il était pas parfait. et toi non plus. » Il renifle, là, avant de prendre sa tasse de nouveau, et puis de la vider, complètement. « t'aurais pu rester avec lui. nous. t'aurais pu - pas faire le con, pas passer tes sentiments en premier, et penser à son bonheur, plutôt. tu crois que ça m'a - ça m'a fait plaisir, de le laisser partir ? de plus être avec lui ? il - il était tout, putain. tout. » Les mots, ils sont trop gros, trop violents. « t'es égoïste, ari. on t'a fait du mal, oui, peut-être. mais toi, tu crois que t'as fait quoi, hein ? du bien, peut-être ? » Niel, il l'observe, là, avec ses yeux grands, larmoyant. Le sanglot, il se transforme en rire, et Niel, il finit par se lever, incapable de rester.

Il a changé Niel. Il a changé et t’aimes pas ça. T’aimes pas ça du tout. Alors tu le regardes, avec ton regard un peu noir. Tu changes vite d’humeur. Tu passes de la tristesse à la rancœur. T’aimes pas ses mots. Tu les détestes putain. « Tu fais mal, Ari, tu sais ? » Tu sers le poing. Là. En le fixant. Tu les emmerdes. Tous. Avec ton amour un peu sale. Tu l’emmerdes le Niel. Lui et son amour parfait.
 
Tu le laisses parler. Tu le coupes même pas. Parce que tu sais pas quoi dire. A part ta gueule. A part ferme là. « t'aurais pu rester avec lui. nous. t'aurais pu - pas faire le con, pas passer tes sentiments en premier, et penser à son bonheur, plutôt. tu crois que ça m'a - ça m'a fait plaisir, de le laisser partir ? de plus être avec lui ? il - il était tout, putain. tout. t'es égoïste, ari. on t'a fait du mal, oui, peut-être. mais toi, tu crois que t'as fait quoi, hein ? du bien, peut-être ? » T’aurais pu ouais. T’aurais pu. Ca aurait été bien. La chose à faire. Mais tu sais pas faire les bonnes choses toi. Tu restes un peu comme un con. Ses dernières phrases, elles te secouent un peu. Parce que tu le penses aussi peut être. Pas que t’es égoïste. Nan. T’es pas égoïste. C’est le monde qui est merdique. C’est le monde qui est sale. Pas toi. Mais tu le penses aussi que t’aurais dû être avec lui. T’étais juste persuadé que t’aurais plus de temps. Le temps de laisser passer la douleur. Le temps d’oublier avant de rester à ses cotés. Mais t’as pas eu le temps. C’est arrivé trop vite. Trop violemment.
 
« Va t'faire foutre » Tes yeux se posent de nouveaux sur Niel. Niel qui se lève pour se barrer. Tu passes la main dans tes cheveux. « J’suis un connard ouais. On se demande pourquoi t’es resté si longtemps si j’te faisais si mal d’ailleurs. » Tu te lèves toi aussi. « Désolé de pas avoir pu voir Oze crever en te susurrant des mots doux. Je devais être trop occuper à faire le con. » Y’a plus rien de tes larmes. Plus rien. Juste la colère. Tes sentiments, tu les gardes pour toi maintenant. C’était un moment de faiblesse. Maintenant, tu pleureras à l’intérieur. Et tu resteras le connard égoïste dehors.

Il est poli, Niel. Malgré les larmes, malgré la colère et la peine, là, dans ses veines. Il est poli. Il stoppe son pas, se tourne vers lui, tout bonnement, lorsqu'il se met à parler. « Va t'faire foutre » Il ne lui renvoie pas la balle, Niel. Non, il écoute en silence, la machoire un peu serrée, le coeur qui fait bien mal. Il n'a pas envie de lui expliquer. Aristée, il n'a jamais voulu comprendre. Il est comme ça, tout bonnement. Aristée, il doit voir par lui-même, si les autres essaient de le forcer, il s'enfonce dans la merde, pour les ignorer, pour aller de l'autre côté. C'est toujours ainsi que ça a été. « J’suis un connard ouais. On se demande pourquoi t’es resté si longtemps si j’te faisais si mal d’ailleurs. » Il se tait, Niel. Il ajuste un peu sa veste, alors qu'Aristée se lève. Après tout, il a bien parlé ; il peut le laisser parler aussi, également. « Désolé de pas avoir pu voir Oze crever en te susurrant des mots doux. Je devais être trop occuper à faire le con. » Y'a des mots qui se disent pas ; des mots comme ça, vifs, qui font plus mal que d'autres. Niel, il serre les dents, un peu, avant de pencher sa tête. Ses doigts tremblent et son coeur est à l'envers. Il reste comme ça, un moment, avant d'essuyer ses yeux. « des mots doux ? des m-mots doux, vraiment ? » Il inspire lentement, pour se calmer, mais les mots, ils déboulent complètement. « comme q-quoi? hein ? tu pense qu'il me disait des mots doux, qu'on f-faisait des jolies promenades ? qu'il -que c'était comme dans un film ? » Il pleure, Niel, encore. Il pleure, là. « il pleurait la plupart du temps. il su-suppliait, aussi. il disait qu'il en avait marre, à la fin. tout le t-temps. il attendait la neige, tu sais pour - pour partir. il rageait, des jours, pour que la n-neige tombe, pour partir. il suppliait, bordel, pour que - ça avait rien de doux. » Il l'observe, là, quelques secondes, avant d'essuyer ses yeux, et puis de partir.