Il manquait un peu de peinture, là, pour la bonne femme. Felipe aurait bien pu refuser, surtout vu la journée, mais l'argent, on ne peut rien y refuser. Surtout celui de cette vieille pie, celle qui donne plein de pourboire, à la fin. Alors, il est allé au centre commercial, Felipe, qu'importe la neige et le froid. Le nez gelé et un peu rouge, les doigts dans les moufles, il a acheté la peinture ; un rose particulièrement dégueulasse, ouais. Il a grimacé face au regard du commis, quand il lui a dit la couleur, et puis il a lancé un regard bien noir. Il a eu cette envie, au fond de ses tripes, de lui cogner le front contre le comptoir. Mais Felipe, il a pas eu envie de se salir. Il a déjà les doigts plein de peintures, un peu les cheveux et les vêtements de travail aussi, de toute manière. Alors du sang ? Non merci. Il a pris son gallon de peinture, le peintre en bâtiment, et puis il a repris la route. C'était un peu le bordel, avec les enfants qui courent partout, les chants de Noël. Assez pour avoir mal à la tête, assez pour sourire un peu, aussi. Assez pour traîner quelque peu, et puis être pris, là, sans la possibilité de sortie. Pris dans le centre commercial au milieu d'une foutue tempête, un gallon de peinture rose à la main. « putain d'merde... » Il lève les yeux au ciel, Felipe, avant de soupirer et puis d'aller s'poser sur un banc. Il garde son bonnet et son foulard rouge, aussi.

Dans un grand souffle le vent dégage les nuages. Et dans un grand froid les flocons s'abattent sur nous. Ils me croquent les joues et avalent des bouts de peau, ne me laissent que la peau sur les os. Je cours, moi, en zigzaguant un peu, je cours jusqu'à la chaleur. Et là c'est l'Horreur. Les gosses qui se marrent et les parents qui en ont marre. Et Noël surtout. Je commence à avoir la crise de panique du trop-plein-de-personnes et soudain c'est le centre commercial entier qui se met à angoisser. Paraîtrait qu'on est coincés ici. Moi, je me serre dans ma doudoune comme si c'était des bras, et je me fais minuscule.

La tempête qui fait rage, c'est pas agréable avec la moto, c'est pour ça que j'suis resté un peu plus longtemps à ce foutu centre commercial. Le temps que le vent et la neige se calme un peu. Tu parles. J'l'ai vu venir de loin, au fond, cette coupure d'électricité. Suffit de voir les baisses de tension pour comprendre mais dans un espoir débile, j'ai quand même décidé d'attendre. D'attendre comme un con, les doigts serrés sur un sac un peu trop plein de bouffe et de conneries de noël. La neige, j'ai toujours rêvé de la voir, de la toucher. De lever les yeux au ciel et puis accueillir les flocons. Mais aujourd'hui, j'en suis venu à la détester. Enfermé, là, dans ce centre commercial. L'électricité qui se fait la malle pour laisser place à la folie. Les gens marchent un peu trop vite, se regroupent dans les moindres recoins, à la recherche de leur gosse certainement. Portable à la main, le regard agité, moi aussi, je cherche mon gamin. Parce qu'il y a dix minutes, ou peut-être vingt, Felipe disait aller au centre commercial, avec une petite insulte à la fin de son message. Alors, oui, il est forcément par là, ce pauvre con. J'ai bien envie de monter sur une caisse et puis d'gueuler son prénom mais il le prendrait mal. Alors, comme un idiot, je le cherche dans la foule, passe peut-être même à côté sans le voir. J'ai les nerfs qui sont déjà à vifs, à pas l'trouver. Même le réseau marche plus. Au final, j'me retrouve aussi con que tous les autres, à rager dans le vide.

Il a les sourcils froncés, assis sur son banc, à observer. Il dévisage les enfants, Felipe, observe les gens qui magasinent encore. Malgré la tempête, les génératrices marchent à pleine puissance et certains ont assez de billet pour continuer leur achat. Et les chansons résonnent encore, fortes, si bien qu'il baisse un peu plus son foutu bonnet, sur sa tête. Ses prunelles se tournent vers son gallon de peinture rose, un instant, et puis il soupire encore plus fort. Il lui faut un moment pour sortir son portable, dans sa poche, et puis de taper un message rapidement. « JE SUIS PRIS AU CENTRE D'ACHAT. M'ATTENDS PAS CONNARD. ♥  »  Il soupire encore, Felipe, avant de s'enfoncer un peu plus sur son banc. Il grimace, cet idiot, à cause de la position inconfortable, à cause des regards venant d'une vieille dame qui rêve d'avoir sa place, mais il ne bouge pas. Il fait sa diva.

Il n'a pas de manteau d'hiver, le pauvre chat. Il n'a rien de lourd, non, sauf son coeur, peut-être. Le coeur qui est béton, là, un peu noyé, trop plein d'amour pour un mort. Une âme qui ne cesse de le caresser, une âme qui est toujours là, à le caresser. Oze est vivant, dans son coeur. Aussi vif que le bruit, contre ses doigts. Aussi tuant que la tempête, contre ses traits. Niel, il marche dans la rue. Depuis quelques heures, peut-être. Oui, certainement. Il marche juste comme ça, car il n'a rien à faire, en cette veille de Noël. Pas de famille, pas d'amoureux, encore moins d'amis. Il pense aux petits enfants, à l’hôpital, qu'il pourrait aller voir, mais il est trop triste, pour cela. Alors, il marche. Les yeux bas, il a marché, Niel. Il n'a pas vu, non, la neige, la tempête, le ravage. Il a failli être glace, mais le centre commercial, heureusement, était juste là. Alors le voilà, tout habillé d'un joli voile blanc, les cheveux mouillés par la neige, le regard tremblant. Le voilà, les yeux grands, entourés d'enfants trouble-fêtes, et puis de parents embêtés. Il se fait petit, alors, le trop grand, en passant entre les gens, cherchant un endroit, là, pour attendre sagement.

Tu t’es senti idiot quand tu as trouvé deux beaux paquets cadeaux marqués à ton nom. Vraiment idiot. Tu es même resté planté devant pendant deux longues minutes avant de te décider à sortir toi aussi pour lui acheter quelque chose. Alors tu es là, face à la tempête qui fait rage. Tu pourrais rester au chaud et profiter d’un bon feu de cheminée. Mais cela voudrait dire que Dali n’aurait aucun cadeau de ta part. Et ça, tu ne veux pas. Tu aurais trop honte. Alors tu prends ton courage à deux mains pour monter sur le vélo de Dali et pédaler rapidement jusqu’au centre commercial.
Tu as froid. Tellement froid. En fait, tu meurs de froid. Tes yeux pleurent tout seuls. Et tes larmes sont comme gelées instantanément.
 
Le centre commercial se dessine sous tes yeux, illuminé. Puis brusquement, plus rien. Tout s’éteint. La tempête semble s’aggraver encore. Alors tu vas plus vite. Tu abandonnes un peu le vélo là pour entrer rapidement et t’abriter. Tu trembles tellement de froid que tu as l’impression d’être devenu un véritable glaçon.
A coté de toi, y’a Niel. Niel qui est tout aussi frigorifié. Mais tu l’as pas vu. T’es trop occupé à te frictionner en grognant. « … ptain… s’pas possible qu’il fasse aussi froid ‘chier »

Ses yeux s'ouvrent grands, au pauvre petit. Il observe de ses yeux sombres le garçon, là, juste à côté Celui qui tremble de froid, tout comme lui. Aristée, qui se trouve juste là. Aristée, qu'il n'a pas vu depuis des mois, depuis les cris qui ont fait fracas. Niel, il ne bouge pas. Il l'observe attentivement, presque calme, un peu tremblant, pourtant. Il a les larmes aux yeux, un peu, de le voir là. Oze apparaît, Aristée disparaît. Oze disparaît, Aristée apparaît. C'en est presque joli, comme histoire. Presque joli, oui. Alors Niel, il sourit un peu, un peu timide, comme il a appris à le faire, maintenant. Il sourit, un peu heureux, un peu ailleurs, surement. « ari.. » Sa voix, elle est toute petite, à cause du vent, à cause du froid. Il se dit, un instant, qu'Ari ne le reconnait pas. Alors, il passe ses doigts dans ses cheveux, fait pleuvoir les larmes de neige, là, pour qu'il le reconnaisse. Niel, il est un peu plus droit qu'avant, un peu plus confiant, aussi. Mais au fond, c'est toujours un grand enfant, un petit innocent. « joyeux noël, ari » Qu'il dit alors, tout bonnement, un peu bas, un peu comme ça, comme autrefois, avant de mettre ses doigts dans ses poches.

Tu entends ton prénom. Là. Tout près. Alors tu tournes la tête. Tu tournes la tête et ton regard se pose sur lui. Sur lui. Ton Niel. Alors ton cœur se serre un peu. Tu le regardes retirer la neige de ses cheveux sans rien dire, ne sachant pas vraiment comment réagir. Putain. Ca fait des mois que tu le fuis. Que tu l’évites comme la peste de peur de raviver un peu trop la douleur, là, dans ton cœur. Et elle s’éveille la douleur. Il crie ton cœur. Il hurle. Il réalise à quel point son joli visage lui a manqué. Oui, il t’a manqué ton joli Niel. Ce qui ne t’a pas manqué, c’est ce petit pincement. Cette pensée qu’il a trahi la confiance que tu avais en lui.
« joyeux noël, ari » Tu ne peux pas t’en empêcher. Tu lui fais un petit sourire. Tu ne sais pas quoi faire. Doucement, tu passes toi aussi la main dans tes cheveux pour retirer la neige. Et tu lui réponds. Tout doucement toi aussi. « … mmh… toi aussi… ».
 
Un petit silence s’installe. Quelques secondes. Puis finalement, tu t’approches un peu timidement de lui. « … T’es un con tu sais ? » Puis finalement, le cœur serré, tu viens le serrer contre toi.

Ça fleurit, là, contre ses lèvres, un sourire un peu plus joli. Il est heureux, Niel, quand il entend les mots d'Ari, même s'ils sont tout petits. « … mmh… toi aussi… » Il penche un peu la tête, pour mieux voir le léger sourire qu'il aborde, là, en face de lui. Il a envie de tendre les doigts, et puis de le capturer, tout bonnement. De le garder entre ses doigts. Il a un joli sourire, Aristée. Il semble apaisé, Aristée. Comme si quelqu'un avait enfin caressé son coeur comme il le fallait. Niel, il se demande qui s'occupe de lui, maintenant. « … T’es un con tu sais ? » Niel ouvre grand les yeux ; il est un peu surpris, un peu perdu. Il a les questions, là, sur le bord des lèvres, et puis Ari, enfin, dans les bras. Ari dans les bras. Son coeur, soudain, il bat, malgré le poids. « oh ? » Il sourit un peu, tout doux, sort ses doigts, lentement, et puis le serre légèrement. Juste assez pour qu'il le sente. « c'est parce que les crêpes ont brûlés, c'est ça ? » Il le serre un petit peu plus, mais il fait attention. Il pose ses doigts froids, aussi, sur ses cheveux mouillés. Y pose son menton, un moment. Il ne bouge pas, pendant l'instant d'un battement « désolé, ari. » Puis, il pose un léger baiser, un baiser qui vole, oui, sur ses cheveux mouillés.

Tu soupires un peu. Là. Contre lui. T'as l'impression d'avoir arreter de respirer pendant son absence. Ou plutot, tu respirais différemment. « c'est parce que les crêpes ont brûlés, c'est ça ? » Tu ne peux pas t'empecher de laisser echaper un petit rire. Ouais c'est ça. On dira que c'est les crepes. C'est tellement plus simple. « ouais ... les crêpes ». Tu fermes quelques secondes les yeux. Profitant simplement de l'instant. « désolé, ari. » Oui. Désolé. « Ouais ... Je sais ... » Tu l'as toujours su qu'il était désolé. Que rien de tout ça n'était voulu. Mais c'était trop dur. Beaucoup trop dur. Tu te retrouvais seul. Terriblement seul. Aujourd'hui, la présence de Dali fonctionne comme un baume. Elle efface un peu ton éternelle solitude.

Doucement, tu te détaches de lui. Tu le regardes un instant avant de passer tendrement la main sur sa joue. Tu lui diras jamais. Mais putain, il t'a manqué. « On se trouve un endroit ou s'installer pendant que ça se calme dehors ... ? »

La foule continue d'avancer, de marcher dans tous les sens, j'ai soudainement l'impression que les murs se rétrécissent. Mon regard fixe les alentours, se perd sur tous les visages. Sourcils froncés, je sens la colère monter en moi, comme un vieux monstre qui s'réveille. Quelques insultes quittent même ma bouche asséchée. J'en viens à me dire que si j'retrouve Felipe, il se recevra toute une armée de sales mots au visage. Mes pas s'accélèrent jusqu'à l'apercevoir, enfin, au milieu des autres, comme une fleur, un pot de peinture rose à la main. Mes doigts se posent sur son épaule pour l'empêcher d'avancer plus et de m'échapper une nouvelle fois. « Putain ça fait une heure que j'te cherche. Tu pouvais pas rester au même endroit, sérieux ? » J'ai le ton un peu froid, comme si c'était de sa faute cette foutue tempête et tout l'reste. Le sac que je porte commence même à se faire lourd. « Putain. » Tu parles d'un copain accueillant.

Il  finit par se lever, au final. C'est presque insupportable, le regard de vipère que lui lance la vieille ; Felipe soupire brusquement, lève les yeux au ciel, et puis jurer, tout bas. « p'tain, aller pose ton cul, big mama » qu'il grogne comme ça,  une fois levé, en lui désignant le bas. Et puis il reprend sa marche, dans le centre commercial, jure contre le sms qu'Ilir ne lui envoie pas ; il se retient pour ne pas l'agresser sauvagement, serre un peu les dents, et puis dévie, lentement, au travers des boutiques. Il a le regard un peu flou, là, à marcher entre les gens, et puis un sursaut, fort, qui lui traverse le corps. Le souffle reste coincé dans sa gorge un moment, avant qu'il ne reconnaisse les doigts, la main, le corps tout entier. Ilir. Felipe fronce un peu des sourcils, pour faire changement. « Putain ça fait une heure que j'te cherche. Tu pouvais pas rester au même endroit, sérieux ? » Il hausse d'un sourcil, là, se demandant s'il est sérieux. À faire sa crise, là, pour si peu, surtout en n'ayant pas répondu à son message. Felipe a l'insulte sur le bord des lèvres ; il la retient, pour les quelques semaines passés. Il prend le coup sans broncher. « Putain. » Quelques secondes, du moins. Soupire, lève les yeux au ciel. « moi aussi j't'aime, connard. » Il lui lance un sourire presque espiègle, voire heureux, même, et puis tend sa main libre, pour s’agripper à sa nuque. Son gilet se colle contre lui, comme ses lèvres. Léger baiser gelé, morsure qui en vient à s'ajouter. « tu veux du rose, dans la chambre à coucher ? » Il tend le gallon, l'agite un peu, pour rire.

Il a les yeux un peu brillants, comme les flocons, là, dehors, Niel. Il sourit, malgré le petit vide, là, quelque part en lui, quand Aristée se détache de ses bras. Il est un peu courbé, un peu penché, pour se rapprocher. Pour l'observer, le dévisager, le contempler. Il observe, Niel, si de nouvelles choses ont pris place, là, sur ses traits. De jolies choses comme de mauvaises. Il sourit, là, un peu plus, mieux qu,avant, certainement. Il sourit, par ses doigts contre sa joue. Y appuie un peu ses traits, même les yeux fermés. « On se trouve un endroit ou s'installer pendant que ça se calme dehors ... ? » Il sourit un peu plus, Niel, puis se redresse. Le dos craque, se fait droit, et le voilà géant. Il observe, sage, adorable, un peu partout, à la fois. Puis, il hoche de la tête, les yeux brillants, en l'observant. « oui, viens. » Il tend ses doigts, ses doigts si froids, pour prendre les siens. Puis, sage, il le mène à un petit café encore ouvert, de par les génératrices, tout prêt de là. Il va commander à boire, quelque chose de chaud, de préférence, et puis va le rejoindre, à la table. « j'ai pris des chocolats. » Il lui sourit, un peu plus, tend la tasse fumante, là, vers lui.

Tu sens sa main, là, dans la tienne. Ses doigts se mêler aux tiens. Comme avant. Ça te rend triste tout ça. Ca t'fait penser que t'es un peu con. Un soupire s'échappe doucement de tes lèvres tandis que tu le suis vers le petit café ou vous vous installez. Et Niel se barre pour commander.
Tu te retrouves tout seul, assis sur ta chaise, à regarder les gens. Tu sais pas comment agir avec Niel. Tu sais plus. Il t'a fait mal le con. Il a même pas cherché à te revoir. Et ça, malgré tout ce que tu peux te dire, ça t'a aussi blessé. Il devait être trop occupé à roucouler avec Oze.

Il revient là, le joli Niel. « j'ai pris des chocolats. » Tu hoches la tête avant d'attraper la tasse pour réchauffer tes mains. Un petit silence s'installe. Peut etre preuve que quelque chose a été brisé entre vous. « Je...hum...Ca va alors...? » Tu basses la main dans tes cheveux en bataille, tout gêné. « Ca s'passe bien avec ... hum... Oze ? »

Le baiser suffit à calmer mes nerfs, à moins qu'ils ne soient déjà détendus à la vue de ses grands yeux. La foule semble même se dissiper tout autour de nous. Et le sourire, il vient tout droit hanter mes lèvres glacés. Les sacs tremblent lorsqu'un gamin trop pressé fonce dedans en s'excusant de sa voix brisée. « moi aussi j't'aime, connard. » Une grimace prend place sur mon visage pour tenter de dissimuler les véritables sentiments de joie. « tu veux du rose, dans la chambre à coucher ? » Mon regard se pose sur le pot de peinture tandis que je hausse lentement les épaules. « ça m'va tant que tu nous mets pas du bleu. » Le dégoût du bleu, un gêne de la famille Sanka, certainement. Le bleu c'est moche, un peu comme mes yeux trop clairs. « Regarde. » Mes mains écartent légèrement le sac pour y mettre à découvert les derniers achats. « J'ai acheté quelques décors pour noël, pas grand chose mais j'me suis dit que ça pourrait faire plaisir à Louve. J'ai évité le déguisement du père noël même si ça m'étonnerait pas qu'elle y croit encore. » Le rire qui accompagne mes paroles est à peine moqueur. Mes doigts libres, encore gelés par la température se perdent dans la poche de ma veste. Vérifient par la même occasion que le cadeau de Félipe ne s'est pas fait la malle. Le simple fait d'imaginer la suite parvient à me décrocher un frisson. Mon regard balaye les environs et revient contre lui. « On est au milieu de tout le monde là, on devrait aller se poser un peu plus loin avant d'se faire gueuler dessus, non ? »

Il a ce léger sourire sur les lèvres, Niel, à observer Aristée pendant un instant. Il l'observe, là, avec la tasse entre les mains, et puis se penche sur la sienne, la tend vers ses lèvres, les brûle un peu, pour une légère gorgée. Le liquide glisse le long de sa gorge, remplit son âme un peu froide de sa douce chaleur. Niel ferme les yeux, un instant, souffle doucement. « Je...hum...Ca va alors...? » Le grand papillonne des prunelles, un instant, avant de lever les yeux vers lui. Niel sourit un peu, s'engage à ouvrir la bouche, pour lui répondre, mais Aristée continue. « Ca s'passe bien avec ... hum... Oze ? » Il baisse les yeux, subitement. Niel ne trouve pas les bons mots, tout d'un coup. Il reste là, sa tasse entre les mains, un petit moment. « Hm... la maladie a pris du terrain.» Il sourit un peu faiblement, lève les yeux vers lui, dépose la tasse. « Il avait très mal je - il était plus capable, Ari...Il - ses cheveux, ils tombaient... son corps devenait maigre il - il pleurait bien plus souvent qu'il respirait. » Niel souffle doucement, passe ses doigts dans ses cheveux, yeux embués. Ça fait mal, mine de rien, se souvenir de tout cela. Si mal, oui. « La souffrance... elle s'est tue, maintenant. » Petit souffle bas, pour dire tant de choses. Oze est parti.

Il le dira certainement pas, Fel, mais il a un sourire sur les lèvres, à l'entendre parler. Il l'observe de ses yeux bleus, presque scintillants, malgré ses sourcils froncés. Felipe, il a déjà de nouveau cette envie, là, de l'embrasser. Et puis de faire un doigt d'honneur au premier qui les insulte, aussi. « Regarde. » Le peintre suit son mouvement des yeux, observe les sacs qu'il lui montre, sans grand intérêt. C'est pas son cadeau ; il se doute bien, Ilir ne va certainement pas lui montrer son cadeau comme ça. Felipe est trop fouinard, trop curieux. « Hm ? » Il hausse d'un sourcil, ramène ses prunelles vers lui. « J'ai acheté quelques décors pour noël, pas grand chose mais j'me suis dit que ça pourrait faire plaisir à Louve. J'ai évité le déguisement du père noël même si ça m'étonnerait pas qu'elle y croit encore. Il sourit, là, pour de vrai cette fois, Felipe. Il est heureux, va savoir pourquoi. Certainement car Ilir accepte sa soeur, et qu'ils s'entendent bien. Oui, certainement pour une connerie du genre. « On est au milieu de tout le monde là, on devrait aller se poser un peu plus loin avant d'se faire gueuler dessus, non ? » Le brun hoche de la tête, avant de lui prendre sa main, la sortant de force de sa poche. « T'as les doigts gelés, encore. » Il soupire, lui lance un regard noir. Il s'inquiète, le con. « T'es encore v'nu en moto, c'est ça ? Tu devrais la ranger, il neige, merde. » Il grommelle un peu tout bas, encore un moment, joue avec ses doigts. Felipe soupire doucement, avant de les serrer, puis de l’entraîner. « viens, on va s'poser.»

Nouvelle grimace lorsque ses doigts attrapent les miens et manquent de faire tomber le précieux. J'ai les pupilles qui se dilatent un quart de seconde, presque rien certainement. Il aura pas remarqué, Felipe, le stress éphémère dans mon regard. « T'as les doigts gelés, encore. » Un soupire détend mes muscles à sa remarque. On peut passer à autre chose, oublier cette poche qui abrite un avenir à elle seule. C'est fou ce que la vie peut contenir dans presque rien.  Parfois j'me dis qu'il faudrait pas lui apporter autant d'importance, à cette joueuse. Y a qu'à la voir danser tout autour de nous dans une danse qu'on gère pas tout le temps. Et là, j'ai l'impression qu'elle me marche un peu sur les pieds, cette conne alors, je baisse les yeux, fixe ses doigts. « T'es encore v'nu en moto, c'est ça ? Tu devrais la ranger, il neige, merde. » C'est presque drôle de l'entendre dire de telles choses, mais surtout touchant. Pourtant, toujours un peu insolent j'hausse les épaules, le défie peut-être un peu du regard. « J'ai que ça pour rouler, tu sais. J'peux pas me payer une bagnole, on a assez avec les factures, comme ça. Et le bus, c'pas possible pour moi. » à nous entendre, on pourrait nous confondre avec un vieux couple. Mais qu'importe, tant que je ne vois pas le temps passer. « viens, on va s'poser.» Mes pas suivent les siens tandis que je le tire un peu fermement vers moi à la vue d'un banc vide. J'sais pas par quel miracle personne n'est encore installé dessus mais je m'y précipite, pose mes sacs au sol. Encore gelé et fatigué, mon corps s'assoit et tire un peu plus sur les doigts de Fel pour l'inciter à me rejoindre, tout contre moi. Sourire aux lèvres, je tourne mon regard vers lui et installe une main dans sa nuque pour l'embrasser, doucement, du bout des lèvres, dans le cou.  « J'espère qu't'es prêt pour noël. » J'ai le coeur qui rate un battement à cette question. Je l'ai vu, le regard de Fel, aussi noir que la nuit à la vue de ma poche. C'est peut-être une façon comme une autre de lui mettre la pression, de tâter le terrain et puis reculer de quelques pas.
Oui, l'idée de me défiler est accrochée à mes pensées. Elle semble ne plus vouloir les quitter.

Il a le regard presque perçant, Felipe, a chercher un banc où se poser. Il cherche, là, les sourcils froncés, jette des regards noirs quand il les observe de trop prêt. Il a envie de détourner les prunelles, de baisser la tête, peut-être, mais il ne le fait pas. C'est Ilir, là, au bout de ses doigts ; c'est pas n'importe qui. C'est pas n'importe quoi, ce qu'ils ont là, dans le coeur. Un truc d'âme soeur. Felipe cligne des yeux, un moment, quand Ilir, il tire sur ses doigts. Le brun le suit doucement, non sans soupirer, puis finit par se poser lui aussi, sur le banc perfide. Ses doigts sont douleur quand il pose le gallon rose sur le banc, mais les lèvres d'Ilir sont fraîches, là, dans son cou. « J'espère qu't'es prêt pour noël. » Felipe, il hausse d'un sourcil presque immédiatement; il tourne ses yeux vers lui, l'observe attentivement. « Tu veux dire quoi ? » Il s'enfonce un peu dans le banc, pince ses lèvres, doucement. « J'suis un peu à court d'argent, là. Avec les voyages, le centre, l'appartement, le camion. 'fin tout ça, quoi. » Il lui offre un sourire mal à l'aise, passe ses doigts dans ses cheveux. « 'fin tout ça pour dire, t'auras p'être pas un truc matériel... mais tu s'ras content. » Il hausse d'un sourcil, l'observe longuement, avant de lui jeter un regard noir. « 'fin j'espère, en tous cas. Ouais, t'es mieux. » Puis il soupire, souffle tremblant.

Un sourire se forme sur mes lèvres à le voir prendre son air un peu sérieux. Mes doigts, encore gelés et curieux se perdent dans sa chevelure, la caressent doucement, presque timides. Les regards ne cessent de fuser en notre direction. Ils sont lourd, accusateurs. Ou bien seulement trop curieux. J'ai l'impression d'être une bête de foire, à Douvres, parfois. « Tu veux dire quoi ? » J'veux dire tout un tas de choses Felipe. Mais les mots font blocage, veulent pas détruire la beauté du moment. J'suis comme un con, après tout, à me retenir pour des futilités. « J'suis un peu à court d'argent, là. Avec les voyages, le centre, l'appartement, le camion. 'fin tout ça, quoi. » Je fronce les sourcils, à l'entendre dire tout un tas de conneries, j'ai presque envie de l'engueuler, de le remuer comme un chiffon pour qu'il arrête de parler argent. J'ai le coeur qui s'affole, aussi noué que mes cordes vocales. « 'fin tout ça pour dire, t'auras p'être pas un truc matériel... mais tu s'ras content. » J'remue la tête, légèrement, négativement. . « 'fin j'espère, en tous cas. Ouais, t'es mieux. » Je lâche un soupir, me détache un peu de lui et plonge mon regard dans le sien. J'essaie d'être sérieux, de pas avoir d'étoiles dans les pupilles. Je tente de supprimer toute la magie pour lui répondre mais j'en suis jamais vraiment capable alors je soupire, passe une main sur mon visage. « J'en ai rien à foutre du fric. Du moment qu't'es là c'est suffisant. Sérieux, comme si avoir une babiole sous le sapin changerait quoi que ce soit. T'es con. » L'insulte, elle manquait à notre conversation, comme la note d'une mélodie. « J'parlais de noël pour autre chose mais tu verras sur l'moment. Maintenant j'ai froid alors arrête d'dire des conneries et réchauffe moi. Mais pas trop quand même. » Mes doigts se précipitent sous sa veste tandis que mon corps, tremblant, se colle au sien. Se réchauffer sur un banc au milieu d'une foule excitée. Mais quelle journée, j'vous jure.

Tu lui souris un peu à ton joli Niel. Tu veux faire bonne impression aussi. Lui montrer que t’as survécu à tout ça. Malgré la solitude. Malgré le sentiment d’abandon. Tu as trouvé quelqu’un pour les remplacer. Quelqu’un pour supporter tes humeurs changeantes. « Hm... la maladie a pris du terrain. Il avait très mal je - il était plus capable, Ari...Il - ses cheveux, ils tombaient... son corps devenait maigre il - il pleurait bien plus souvent qu'il respirait. » Tu comprends pas tout de suite. Tu réalises pas ce qu’il veut dire. Tu le regardes. Avec tes grands yeux. Tu vois ses yeux mouillés. « La souffrance... elle s'est tue, maintenant. » Puis finalement tu comprends. Et c’est comme un mur que tu te prends là, dans la gueule. « … qu…quoi ? » Tu clignes des yeux. Tu réalises pas. Tu veux pas réaliser. « Nan. » Tu secoues un peu la tête. T’as la gorge qui se sert là. Un peu. Nan … Il peut pas être mort. Il peut pas. Tu sers le poing. Et ta voix, elle tremble un peu quand tu reprends la parole. Un truc qui te ressemble pas. Le gamin bouleversé. Fragile et à la ramasse. Le truc qui te ressemble pas. « … Tu t’fous de ma gueule hein … ? Dis moi que tu t’fous de ma gueule » Tu passes la main sur ton visage, reculant ta chaise, comme pour t’éloigner. « Nan … Nan. Putain. Nan. » Et voilà, t’as envie de chialer. T’as envie de chialer comme un gamin. Alors tu te lèves. Pour lui tourner le dos. « C’est pas possible. Vous…Quelqu’un… Quelqu’un me l’aurait dit. C’est pas possible. » Oze. Nova. Bordel. Nan. Tu sers le poing plus fort. Et tu te retournes de nouveau. Pour lui faire fasse. Au Niel. Pour l’engueuler. Comme à chaque fois que t’as mal. « POURQUOI JE LE SAIS PAS ! POURQUOI ?! … pourquoi … ? » Et alors, là, au beau milieu du café, tu te mets à pleurer comme un enfant. Tu te fermes. C’est pas juste. C’est pas juste tout ça.

Sa langue claque dans son palais, son coeur s'affole, un moment. Ilir est là, à l'observer, le regard dur et brillant, à la fois. Il a l'impression d'être un môme, soudain, sur le point de se faire gronder. Felipe fronce un tout petit peu des sourcils, à le voir comme ça, face à lui. Comme s'il avait fait quelque chose de mal ; ce qui, évidemment, est totalement - ou pas - impossible. « quoi ? » Qu'il finit par lâcher, un peu lasser d'un regard aussi insistant. Et puis Ilir soupire, passe ses doigts sur sa tête, avant de lui répondre quoique ce soit. « J'en ai rien à foutre du fric. Du moment qu't'es là c'est suffisant. Sérieux, comme si avoir une babiole sous le sapin changerait quoi que ce soit. T'es con. » Felipe, il ne peut pas s'empêcher de faire la moue, sur le coup. Juste face à l'insulte ; le reste, il porte un sourire sur ses lèvres, malgré le fait qu'il soit dissimulé, là, juste là, dernière la moue d'enfant. « Ouais bon hein. » Juste pour dire quelque chose, pour qu'il voit sa gueule de môme, comme ça. « J'parlais de noël pour autre chose mais tu verras sur l'moment. Maintenant j'ai froid alors arrête d'dire des conneries et réchauffe moi. Mais pas trop quand même. » Felipe lève les yeux au ciel, soupire et blablate dans le vide, sans un mot. Il claque encore sa langue, et puis se tend, brusquement, en sentant ses doigts gelés sous son gilet. « P'tain franchement » qu'il grince, comme ça, entre ses dents. Il lui faut un moment pour se faire au froid, pour passer ses bras autour de lui, et puis lui lancer un regard noir, sans oublier. « Franchement tu vois ? T'es mort de froid, p'tain. J'irais t'porter au boulot, j'commencerais plus tard ou j'sais pas, mais p'tain, prends pas ta foutue moto en hiver. » Il grogne, comme pour disputer, mais il est juste là en train de s'insulter. À s'en faire pour son petit ami. Il le serre un peu plus fort, là, dans ses bras, avant de soupirer, baiser posé sur ses lèvres aussi gelées. « J'veux pas que tu choppe un truc, connard. » Il sait, au fond, qu'Ilir, il va continuer à la prendre, sa moto à la con. « On va t'acheter des combines, au moins. » Il grogne encore, là, tout bas, tout en continuant à le frotter.

Niel, il se sent petit, soudain. Il a le coeur trop lourd, brusquement, pour le porter. Et pourtant, il reste là, il ne bouge pas, il ne pleure pas. Il attend, Niel. Ce n'est pas le temps pour ses larmes ; il l'a déjà pleuré, Oze, les lèvres collées contre les siennes, quand ils se sont dit adieu. Il l'a déjà pleuré, sous les draps, accompagné de tendres baisers. Maintenant, c'est le tour d'Aristée. Aristée qui a besoin, du moins il croit, d'être un peu accompagné. « … qu…quoi ? » Niel l'observe, se pince les lèvres, un instant. « Nan. » Il garde silence ; de toute manière, Aristée ne lui parle pas. Il se parle à lui-même. Il reste là, Niel les doigts contre la tasse, encore.  « … Tu t’fous de ma gueule hein … ? Dis moi que tu t’fous de ma gueule » Ça fait mal, de le voir comme ça. Niel, il a les larmes aux yeux pour lui, cette fois. Il a envie de se lever, et puis de le serrer dans ses bras. Fort, tendrement. De prendre le mal et puis de le garder pour soi ; il en est capable, pour qu'Aristée, il ne pleure pas. Mais Aristée, il ne veut pas ; il recule sa chaise, brusquement. « Nan … Nan. Putain. Nan. » Niel, il a la gorge qui se serre. À le voir comme ça, si briser, se lever, comme pour s'éloigner. Lui tourner le dos, comme ça, soudainement. « Ari... » Qu'il souffle, tout bas. Il fait un mouvement, aussi, pour se lever. « C’est pas possible. Vous…Quelqu’un… Quelqu’un me l’aurait dit. C’est pas possible. » Il a envie de lui dire qu'il est désolé. Qu'il aurait aimé lui dire, le lui écrire, voire même l'amener le voir, avant qu'il ne ferme les yeux, mais il ne l'a pas trouvé. Il n'a pas eu le force de réellement le chercher. Niel, il a honte d'avouer que quelque part, il a cru qu'il avait quitté la ville, Aristée. « POURQUOI JE LE SAIS PAS ! POURQUOI ?! … pourquoi … ? » Il se brise, Niel. Il a l'impression que son âme, ce sont les larmes, là, sur les joues d'Aristée. Niel, il agit, alors. Un peu brusquement, peut-être. Il y a eu quelques changements, chez le petit enfant. Il est un peu adulte, maintenant. Après tout ça, ce n'est pas bien étonnant. Alors, il le prend brusquement dans ses bras, le serre fort, sa tête contre son gilet. « Je suis désolé. » Il souffle, la gorge serrée. Il le garde là, dans ses bras. Il a envie de s'excuser, pour ne pas l'avoir chercher, pour ne pas avoir penser à lui. Mais la vérité, c'est qu'il n'y a pas pensé. Il était trop occupé ; trop occupé à profiter des derniers instants, des derniers sourires et des derniers baisers qu'Oze, il pouvait bien lui donner. « Je suis désolé. » Il murmure, encore, la gorge sur le point de se casser. Il glisse ses doigts, là, dans ses cheveux, pour le garder contre lui. Pour qu'il comprenne, qu'il ressente. « Je suis là. On est encore là. » Il sait pas, Niel, pourquoi il dit ça ; peut-être qu'il en a besoin, au fond. Oze, c'est peut-être ça qu'il lui a donné ; l'envie de vivre.